David Lan-Bar vu par … Sioma Baram

 

Lan-Bar qui est un peintre israélien établi à Paris depuis plusieurs années et dont les œuvres seront prochainement exposées à la galerie Art Vivant, me semble être l'un des plus intéressants artistes juifs contemporains.

En quelque sorte, il incarne de nos jours et par des moyens plastiques modernes, l'esprit soutinien. Dans ses œuvres, on se heurte à la même frénésie, à la même profonde inquiétude et à la même fuite éperdue vers l'inconnu; et, sur le plan « matériel », la texture de la surface peinte, la touche appuyée et « suivie » du pinceau, le traitement ou plutôt le déchirement de la forme et, dans certains cas, le coloris ardent et tendu, s'apparentent à la technique employée par Soutine.

Mais tout cela ne veut pas dire que Lan-Bar soit sorti d'une côte de Soutine. Il arrive et il arrive assez souvent que des ressemblances intérieures - sans qu'il y ait forcément corrélation ou correspondance entre des temps ou des lieux - existent et prennent forme dans la matière ; on ne devrait pas confondre la correspondance d'idées, intangible et abstraite avec l'influence directe, visible à l'œil nu.

David Lan-Bar n'est directement influencé ni par Soutine, ni par ceux qui constituent ce qu'on pourrait appeler l'Ecole soutinienne, néanmoins, il s'y rattache. Il se rattache à l'univers de Soutine non pas par ce qu'il en extrait, mais parce qu'il y ajoute. En effet, l'œuvre de ce témoin du temps présent, de par son ampleur strictement picturale et de par son pouvoir de répercussion en profondeur confère de nouvelles dimensions 'à cet univers.

David Lan-Bar a commencé proprement à peindre en Israël, dans le studio de feu Avni de Tel-Aviv. C'était l'époque romantique, sinon héroïque, de la toute jeune peinture israélienne. Curieux amalgame que cette peinture israélienne qui se trouvait constamment et simultanément sous diverses influences : russe d'avant-guerre (Répine, Lévithan, etc.), expressionniste allemande ou flamande ou même française, représentée par des reproductions de... l'Ecole de Barbizon. Mais, toujours par le truchement de reproductions importées de l'étranger, l'impressionnisme et, sur ses talons, Cézanne, ont vite fait leur apparition en semant allègrement le doute dans l'esprit naïf et romantique des jeunes peintres. De nouveaux artistes chassés par les persécutions et par la guerre et réfugiés dans le pays, ainsi que la découverte de l'existence des mouvements plastiques modernes - incarnés par Bonnard, Klee, Rouault, Picasso, Léger, Chagall, Modigliani et Soutine - ont achevé de parfaire la confusion (qui, heureusement, a été de courte durée). Mais pour Lan-Bar, toutes ces vagues successives de « nouveaux horizons picturaux » n'ont eu d'autre effet que de le renforcer dans une certitude intérieure qui ne l'a pas encore abandonné, la certitude que lui, Lan-Bar, pouvait et devait devenir peintre de plein droit, tel qu'en lui-même.

C'est pourquoi son œuvre, depuis ses débuts, est d'une rare continuité. Contre vents et marées, contre les « conseils éclairés » de ses maîtres et malgré certains dons de mimétisme qui pourraient aplanir sa carrière artistique, Lan-Bar continue à peindre des portraits déchirants et torturés, des nus décharnés, acides et « laids », de dramatiques natures mortes et des paysages « verticaux déchiquetés », dépourvus de toute loi de perspective et sans aucun sens des proportions.

Sa peinture ne plaît pas, le public l'ignore et la majorité des peintres la boudent... De plus en plus isolé et replié sur lui-même, il quitte Israël pour venir à Paris où il y a place « pour le pire et le meilleur ». Ici, il trouve enfin son climat et se sent confirmé dans ce qu'il considère comme sa vérité de peintre. A Paris, on peut travailler, - c'est dire qu'on doit y travailler. Travailleur infatigable, Lan-Bar peint du matin au soir, indifférent aux conditions objectives - matérielles et physiques - du moment. Des mois passent, puis des années, et peu à peu sa peinture se transforme, évolue. La métamorphose a lieu graduellement, organiquement. Les éléments figuratifs de son art s'estompent, s'effacent et disparaissent un à un, le centre (le noyau) du tableau peint se déplace comme un feu-follet ici et là pour disparaître totalement à son tour - le sujet n'existe plus - et la couleur est étalée avec une égale pression sur toute la surface du rectangle, et ses molécules, ainsi comprimées et tendues, la font vibrer, vivre. En plus, n'ayant plus à camoufler, à vêtir ou à embellir quoi ou qui que ce soit, la couleur existe « royalement » par elle-même, vivant en parfaite harmonie avec les valeurs, les plans, les lignes directrices, les creux et les pleins qui ne servent qu'à dynamiser son épiderme.

Dépourvue des formes, la peinture de Lan-Bar devient forme ; et n'ayant pas de « sujet » à traiter, elle devient son propre sujet. Elle ne devient pas, pour autant, abstraite ou informelle dans le sens habituel de ces mots. Cette peinture, cet art en perpétuel mouvement ne cessent de suggérer, d'évoquer et de nous faire pressentir. Un art qui engendre le pressentiment ne peut puiser sa force que loin dans le temps et loin dans l'espace ; il ne peut pas être abstrait, d'action ou informel car ces notions impliquent l'élément de passage, le provisoire, l'immédiat.

Tandis que l'art de Lan-Bar, comme celui d'un Van Gogh, d'un Chagall ou d'un Soutine, est dédié à la permanence…

Sioma Baram