Expositions et Collections Lan-Bar

Expositions de son vivant

 

Comment Gaston-Louis Roux fut écarté de l’Histoire de l’Art

Quelques hypothèses sur cet évincement plus ou moins volontaire
Qu’en est-il aujourd’hui ?
  Conclusion

Comment Gaston-Louis Roux fut écarté de l’Histoire de l’Art

 

Nous sommes en 1961, lorsque Patrick Waldberg, critique d’art à ses heures et ami intime de Gaston-Louis Roux, écrit dans un article auquel nous n’avons cessé de faire référence au long de cette étude, paru dans la revue Critique : « Peu nombreux aujourd’hui sont ceux, hormis ses familiers et quelques amateurs anciens, qui savent qui est Gaston-Louis Roux. » Quarante-trois ans plus tard, ce constat reste d’actualité.

 

Gaston-Louis Roux, première page du texte « Quelle est ma position dans l’art contemporain ? », tapuscrit réalisé à l’occasion de l’invitation de l’artiste au Prix Marzotto. Le texte fut publié dans le catalogue du Prix Marzotto.

 

De même, dans Mes galeries et mes peintres, ouvrage qui transcrit l’entretien qui eut lieu en 1961 entre Daniel-Henry Kahnweiler et Francis Crémieux, ce dernier interroge le marchand sur les peintres qui ont eu leur place dans la galerie. Kahnweiler évoque les plus connus, lorsque Francis Crémieux lui demande « est-ce que vous n’avez oublié aucun de vos peintres, monsieur Kahnweiler ? », celui-ci évoque à nouveau Beaudin et sa femme avant de ce souvenir d’un autre peintre qu’il n’expose plus depuis 5 ans : «Et puis je m’aperçois que j’en ai encore oublié un, pour la simple raison que je n’achète pas ses tableaux.
Il s’agit de Gaston-Louis Roux, un peintre dont j’ai toujours aimé et dont j’aime toujours
les débuts […]».

Ces deux citations sont des exemples flagrants de la place qui est faite à la production de Gaston-Louis Roux au sein de l’Histoire de l’Art : inexistante.

Peintre discret, bien que très sociable, Gaston-Louis Roux, pour différentes raisons que nous évoquerons ultérieurement, fut peu à peu écarté des manuels d’Histoire de l’Art ou des ouvrages sur un mouvement ou une période.

En effet, rares sont les ouvrages qui mentionnent sa présence que ce soit au sein des avant-gardes ou en ce qui concerne les réalismes. Les répertoires relatifs aux artistes, comme celui réalisé par Bénézit ou encore Le Dictionnaire de l’art moderne et contemporain , font cependant état de l’existence du peintre bien que certaines indications bibliographiques soient erronnées . J’ai établi une liste des différents articles de dictionnaire relatifs à la vie et la production de l’artiste afin de constater si des indications significatives variaient en fonction des années. Bien que la liste soit trop peu fournie pour établir un constat radical, il semble que les éditions les plus anciennes insistent plus fortement sur la production figurative de l’artiste que les éditions récentes. Le Dictionnaire de l’art moderne et contemporain se contente d’une simple mention, « il revient à la figuration à partir de 1950 » et l’ouvrage de Bénézit livre un jugement de valeur qui reste prudent, écrivant que son travail d’après nature « ne compense peut-être pas l’esprit d’aventure d’antan ».

Nous avons mis en évidence que le peintre n’a jamais fait partie du mouvement surréaliste alors que sa démarche picturale se rapproche souvent de certains aspects de la production plastique du mouvement. Prenons un exemple concret. En 1932, il fait partie de l’exposition « Poésie 32 » qui se tient à Prague et présente une partie de la production surréaliste ou d’influence surréaliste de France et de Tchécoslovaquie . Pourtant, certains catalogues d’exposition semblent oublier la présence de Gaston-Louis Roux. A titre d’exemple il est écrit La révolution surréaliste : « La peinture surréaliste arrive tout à coup à Prague lors de l’exposition intitulée « poésie 1932 », organisée par le cercle Manès. A coté des artistes les plus inventifs de Devestil (Sima, Troyen, Styrsky, Muzika, Hoffmeister, Janousek, Makovsky, etc.) figurent de nombreux surréalistes officiels et compagnons de route (Arp, Dali, De Chirico, Ernst, Giacometti, Miro, Savinio, Tanguy) ». L’ouvrage intitulé Le Surréalisme, de José Pierre fait état de la participation de l’artiste à une autre exposition surréaliste intitulée « Minotaure » qui eut lieu deux ans plus tard. Il est intéressant d’analyser la typographie (toute en subtilité) utilisée par l’auteur pour séparer, par un point virgule, ceux qu’il estime proches du mouvement surréaliste (qui n’ont pas tous été et ne sont pas tous des surréalistes de strict obédience), des autres. Je constate également que les œuvres de Gaston-Louis Roux ne sont, à ma connaissance, jamais présentées dans les différentes expositions ou ouvrages, fort nombreux, concernant le Surréalisme.

De même, en 1954 et 1955, Gaston-Louis Roux participe à l’exposition « l’Ecole de Paris », réalisée par la galerie Charpentier sous l’égide de Raymond Nacenta. Bien que nous ayons mis en évidence que le titre de la manifestation, quelque peu grandiloquent, ne faisait pas sens en raison de l’imprécision de ce terme, nous avons précisé que Gaston-Louis Roux y était représenté, faisant partie du choix du marchand, pour son style caractéristique d’une des directions picturales de la scène artistique française. Cependant, lorsque l’on cherche l’artiste dans le Dictionnaire des peintres de l’Ecole de Paris 1945-1965 , réalisé par Lydia Harambourg, force est de constater que le peintre n’y apparaît pas, ni dans les notices consacrées aux artistes les plus renommés, ni même dans la liste en fin d’ouvrage où sont classés les peintres moins connus.

Autre exemple significatif : nous avons montré les liens amicaux et professionnels unissant Gaston-Louis Roux et Roger Vitrac. Dans la monographie qu’Henri Béhar, grand spécialiste de Vitrac, consacre à l’homme de théâtre, il fait état de la relation d’admiration réciproque entre les deux artistes , cependant, lorsqu’il reproduit le texte de Vitrac paru en 1931 dans les Cahiers d’art, il fait couper systématiquement tous les passages relatifs à l’artiste si bien que le texte, totalement aliéné, ne semble évoquer que la modernité.

Pourtant Gaston-Louis Roux fut durant toute sa carrière un peintre renommé. Dès 1929, Vitrac le situe aux cotés de Masson et Picasso ; Tériade lui écrit un article élogieux et encourageant pour sa première exposition et n’hésite pas à le situer dès 1930 entre Masson et Miro , comme le fera Carl Einstein dans les années qui suivent , avant de finir par conclure en 1933 par « Gaston-Louis Roux un des peintres les plus justement renommés de sa génération ». Il en va de même pour la période figurative où, s’il n’est plus envisagé, à juste titre, comme un peintre avant-gardiste il reste soutenu, nous l’avons vu, par de nombreux poètes ou critiques.


Quelques hypothèses sur cet évincement plus ou moins volontaire :

 

La suite de réflexions qui va suivre, concernant des différentes raisons qui ont pu conduire la production plastique de Gaston-Louis Roux à être écartée de l’Histoire de l’Art, n’a pas pour but de réparer une injustice ou de redéfinir les critères qui confèrent aux peintres leur notoriété. Elle se veut le simple constat d’une série de raisons qui ont pu aboutir à l’évincement quasi-unanime d’un peintre qui fut un témoin et un acteur de la production artistique des années trente à cinquante en tant que peintre proche de l’avant-garde et dont la production représenta une alternative à la direction prise par la majeure partie des artistes contemporains.

Nous pourrions prendre comme point de départ l’année 1956, où Gaston-Louis Roux décide de mettre un terme au contrat qui l’unit à Daniel-Henry Kahnweiler, se privant ainsi d’un puissant appui. Pourtant, il faut probablement remonter dans le temps, à l’époque où Gaston-Louis Roux était un jeune artiste prometteur qui, avec fougue, peignait en toute liberté, refusant d’adhérer à un mouvement, synonyme pour lui de contrainte. La non-reconnaissance de Gaston-Louis Roux comme un acteur artistique des années 1930 commence peut-être par son refus d’être assimilé à un mouvement, à un courant de pensée et donc d’être catégorisé. Nous l’avons constaté, le jeune peintre entre sur la scène artistique au moment où le mouvement surréaliste subit de profonds remaniements, décidés par Breton en ce qui concerne la légitimité de certaines personnes au sein du groupe. De plus Gaston-Louis Roux aime trop sa liberté pour se plier aux « diktats » du pape et ne partage pas toutes les recherches du groupe, principalement en ce qui concerne l’inconscient. Pourtant, nous avons pu constater que dans les articles, dans les catalogues d’exposition, dans les ouvrages de l’époque, dans ses relations avec le milieu avant-gardiste et les artistes, Gaston-Louis Roux peut être reconnu, avec objectivité, comme un témoin, mais aussi un acteur de la scène artistique.

 

xxManuscrit de Giacometti pour la préface de l’exposition Gaston-Louis Roux à la
xxgalerie des Cahiers d’art en 1962 suivit d’un Portrait de Gaston-Louis Roux
xxpar l’artiste.

Bref, la singularité d’un artiste qui fut, en son temps, perçu comme un peintre majeur, ne semble pouvoir rivaliser avec le regard téléologique de l’historien d’art parfois trop soucieux de classer, catégoriser et regrouper ce qui peut l’être, débarrassant l’Histoire de l’Art d’individus qui ne rentrent pas dans des cadres. Nous avons mis en évidence que les principaux ouvrages sur le surréalisme, parfois relatifs à des « expositions géantes » ne font pas état de Gaston-Louis Roux. Cette démarche peut être légitimée par le fait qu’il n’ait jamais adhéré au mouvement. Cependant, on remarque que des artistes dont la notoriété n’a cessé de croître au fil des années sont représentés en tant que « compagnons de route » du surréalisme alors qu’ils n’ont pas adhéré au mouvement ou en ont été exclus. Il en va de même pour les expositions censées représenter une période comme « 1929-1939, le temps menaçant », ou encore « 1945-1953, les années décisives ». La première, organisée en 1997 par le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris ainsi que la seconde, réalisée dix ans plus tôt par le Musée d’Art moderne de Saint-Etienne, tentent de dresser un vaste panorama de l’Art entre deux dates jugées signifiantes. Dans ces deux expositions, aucune mention n’est faite concernant Gaston-Louis Roux, pourtant présent sur la scène artistique. Faut-il en conclure que le parti pris des musées, qui est sensiblement le même que celui des ouvrages, serait de mettre en lumière des artistes connus et reconnus, jetant un peu plus dans l’ombre ceux qui, bien que présents sur le devant de la scène artistique de l’époque, ne sont pas mis en valeur ?

Si certains artistes travaillent pour servir leur carrière, ce ne fut en aucun cas l’attitude adoptée par Gaston-Louis Roux, qui écrit, dans une lettre à Daniel-Henry Kahnweiler, peindre sur la voie qu’il croit fermement être la sienne « au mépris de toute carrière ». Les mots qu’il emploit ne sont pas vides de sens ou exagérés : lorsqu’il décide de quitter son marchand et de se diriger vers la figuration, Gaston-Louis Roux est conscient qu’il abandonne une carrière satisfaisante et confortable pour un art qui est dénigré et reconnu comme étant à contre-courant. Il existe actuellement relativement peu d’ouvrages analysant l’attrait des artistes contemporains pour la figuration. Cette question est le plus souvent reléguée dans un chapitre placé entre deux consacrés aux avant-gardes. Comme le fait remarquer Christian Derouet dans un article s’intéressant aux réalismes en France « l’historien se contente le plus souvent de constater qu’un net rappel à l’ordre caractérise l’évolution plastique en France pendant cet intervalle de vingt ans [1919-1939] : Matisse peignait de lascives odalisques, Bonnard des nus s’essuyant, tandis que Dunoyer de Segonzac et Utrillo se partageaient la clientèle des amateurs de paysages lourdement empâtés. Le cubisme démodé se muait en abstraction tandis que le surréalisme annexait le domaine plastique des éléments hétérogènes. Ce schéma anéantissait hâtivement une massive production figurative que l’on découvre en feuilletant les catalogues des Salons, académique comme la Nationale ou les Indépendants, plus novateur : des Tuileries ou de l’Automne. Pourtant en appliquant la même érudition, la même cohérence qui animent les spécialistes du cubisme ou du surréalisme, il serait gratifiant d’entreprendre une histoire de « l’autre peinture », celle qui se contente d’être imitative et lisible. » Bien sûr, cette analyse s’intéresse à la période qui se situe entre les deux guerres et ne peut donc pas directement s’appliquer à Gaston-Louis Roux qui ne franchira la frontière le séparant de la peinture d’après nature qu’une bonne dizaine d’années plus tard. Cependant le problème de la reconnaissance d’une peinture figurative en 1950 est le même que celui posé entre 1919 et 1939. Il est peut-être même davantage éludé car, si le retour à l’ordre est désormais un fait avéré situé dans un cadre et une période précise, comment justifier une telle démarche en 1950 ? Pour bon nombre de critiques, ce retour à l’ordre est « un vaste courant qui, entre les deux guerres, en réaction aux avant-gardes, fait retour au réel et fait retour, pour ordonner ce réel, aux genres traditionnels ». Il est peut-être nécessaire de rappeler qu’une grande partie des artistes qui contribuent à ce « retour à l’ordre », poursuivent dans cette voie où ils seront rejoints par bon nombres d’autres artistes, dont Gaston-Louis Roux : je pense à Giacometti, Balthus ou encore Hélion. Par conséquent, peut-on encore parler d’une mouvance contre les avants-gardes ? Il me semble que la pérennité de la figuration doit être comprise comme une alternative et non une opposition aux avant-gardes. Il n’en reste pas moins qu’actuellement ce genre ou cette manière reste majoritairement connoté péjorativement et jugé comme étant réactionnaire. Par conséquent, il n’est pas impossible que les artistes ayant suivi cette voie, à la différence de certains artistes reconnus, soient mis en marge d’une Histoire de l’Art inexorablement progressiste. On peut supposer que ce fut le cas de Gaston-Louis Roux, dont le choix de peindre selon un mode figuratif fut compris comme un affront et éluda sa notoriété passée. Lui qui fut considéré par Vitrac dans les années trente comme un des peintres les plus prometteurs, dont certaines œuvre comme l’Arracheur de dent (Doc.21) constituent « dans la signification générale de la peinture un événement capital », n’est mentionné dans aucun des livres relatifs à cette période.

De plus, on peut supposer que ce n’est pas uniquement le recours à la figuration qui fut un obstacle à sa reconnaissance mais sa manière même de peindre. Ainsi, lorsque Patrick Waldberg retranscrit les propos d’Alberto Giacometti concernant Gaston-Louis Roux, il met en évidence le problème d’atemporalité du style de Roux : « Il me fait penser à Haendel », il est proche « d’un personnage du XIIIème siècle ». D’une façon similaire, Jean-Jacques Lévêque insiste sur le fait que ses œuvres « vues superficiellement, risquent de passer pour anachroniques ou vieillottes ». Car, nous avons pu le constater en analysant les tableaux de l’artiste réalisés dans la seconde moitié du XXème siècle, le peintre retrouve les notions de clair obscur, de lumière vive ou feutrée, de perspective, de dessin, de tonalité, bref un métier qu’il lui a fallu apprendre, à une époque où ces problèmes ne sont plus d’actualité, l’art se dirigeant vers le conceptualisme et l’abstraction. Georges Limbour insiste sur cet aspect en écrivant que la peinture de Roux « est une peinture qui est, si l’on peut s’exprimer assez clairement, dans la tradition et je remarque que, les mettant parfois momentanément dans l’embarras et les troublants, elle exerce un fort attrait justement sur les esprits qui avaient déclaré la guerre à la tradition et pensent généralement que l’art commence où finit le réalisme. » Gaston-Louis Roux lui-même avoue : « je n’ai ni passé, ni futur ». Dans ce cas, comment l’Histoire de l’Art peut-elle gérer un personnage qui refuse consciemment et volontairement de s’inscrire dans un temps historique, dans l’Histoire de l’Art elle-même ?

Une dernière hypothèse concernant l’évincement de l’artiste de l’Histoire de l’Art est relative au comportement même de ce dernier. Nous avons souligné que Gaston-Louis Roux travaille au mépris de toute carrière. Plutôt que de se plier au goût des amateurs qui achètent sa peinture à Kahnweiler et continuer dans un style qui correspond aux attentes du marché et de l’Histoire de l’Art mais plus aux siennes, Gaston-Louis Roux rompt avec sa production plastique d’antan et se dirige sur les voies incertaines de la figuration. Comme l’écrit si bien son ami Pierre-Georges Bruguière : « pour Gaston-Louis Roux c’est la question en soi de la vérité en elle-même et de la fin de l’art qui lui fait en 1950 brusquement abandonner une carrière brillante parmi des peintres hautement engagés dans les problèmes de la plastique, une carrière que par son imagination, sa personnalité, il eut pu aisément et avec éclat parcourir. » Il ne cherche pas de nouveaux marchands susceptibles de faire sa promotion par des séries d’expositions et des contacts avec des acheteurs. Qualifié de peintre « discret » qui « se manifeste rarement », l’artiste ne court pas après la célébrité ou après l’argent et sa famille conserve aujourd’hui la même attitude, ouvrant ses portes et prêtant les œuvres lorsqu’elle est sollicitée sans aller au devant de la notoriété.

Cette fameuse rupture fut, pour la plupart des personnes qui se sont penchées sur la carrière de l’artiste, la cause principale de son évincement de l’Histoire de l’Art. Le cheminement parfois chaotique de la carrière de Gaston-Louis Roux, les recherches, les doutes, les tâtonnements et cette césure magistrale entre « l’époque Kahnweiler », pour reprendre le titre de l’exposition à la Galerie Joan Gaspar, et la période figurative sont autant de signes d’une progression décousue qui reste bien plus difficile à analyser, à expliquer et, encore une fois, à catégoriser qu’une lente ascension vers les voies plébiscitées de la modernité. En effet on peut souligner une fois de plus l’originalité du parcours de l’artiste qui aura commencé une carrière par une ascension fulgurante vers la modernité avant de s’assagir pour revenir à la tradition.

De même, il prétend avoir une « profonde indifférence pour son époque » et avec lucidité ajoute, « qui me le rend bien d’ailleurs ». Nous l’avons constaté, cette indifférence se traduit par un refus de peindre la ville, les gens, un quelconque sujet qui pourrait rattacher son Œuvre à l’Histoire. Seuls l’intéressent ses proches, ses lieux d’habitations et les paysages qui l’environnent. Gaston-Louis Roux est « dans son action » et comme il le dit lui-même, en étant à ce point absorbé par son travail, il s’insurge : « comment voulez-vous que je puisse m’intéresser vers toutes les manifestations d’art contemporain ? ». De même, la figuration n’est pas pour l’artiste un fer de lance. Si il est vrai qu’il a tenu à s’expliquer quant à son intérêt pour la figuration de type traditionnelle, il ne peut en aucune façon être considéré comme un auteur prolifique, défendant sa démarche vaille que vaille. Artiste discret, trop peut-être ; artiste « maudit » également, comme il le dit lui-même, qui, assumant des choix inverses à ce que le marché de l’art, les critiques, le public averti pourraient attendre de lui, associé à un comportement sobre, est relégué en marge d’une Histoire de l’Art que l’on dit pourtant basée sur la transgression .


Qu’en est-il aujourd’hui ?

 

Nous l’avons constaté, Gaston-Louis Roux n’a jamais totalement disparu de la scène artistique, seuls les ouvrages d’Histoire de l’Art ignorent encore l’existence de sa production. Après des expositions personnelles dans des galeries parisiennes importantes, des expositions collectives dans les musées français et étrangers, la production picturale de Gaston-Louis Roux est encore aujourd’hui présente sur le marché de l’Art.

Suite aux expositions d’œuvres récentes, l’artiste accepte que sa production « de jeunesse » soit de nouveau montrée au public. Ainsi, en 1987, un an avant sa mort, Gaston-Louis Roux est représenté par quatre-vingt-deux oeuvres à la Galerie parisienne 1900-2000. Cependant, il faut attendre 1996 pour qu’une importante rétrospective (une centaine d’œuvres environ) soit réalisée par le musée de sa ville natale, Provins. Enfin, à la fin de l’année 2001 et au début de l’année 2002, un événement majeur pour le renouveau de la première partie de la carrière de l’artiste, se produit à Barcelone. Depuis quelques années, Quentin Laurence, directeur de la galerie Louise Leiris cherchait un partenaire apte à exposer les œuvres de Gaston-Louis Roux remisées depuis la séparation en 1956 de l’artiste et de son marchand. L’actuel directeur de la galerie Louise Leiris fidèle à la décision de Kahnweiler se refusait à exposer les œuvres de Roux mais désirait tout de même faire vivre la production de ce dernier. Après quelques prospections infructueuses sur le territoire français, Quentin Laurens se tourne finalement vers l’Espagne, trouvant en Joan Gaspar, directeur de la galerie éponyme, un partenaire idéal pour favoriser la redécouverte d’un des « poulains »de Kahnweiler. Ainsi, en décembre 2001-janvier 2002, le célèbre marchand d’art barcelonais propose une exposition de plus de quarante toiles provenant de la Galerie Louise Leiris, parmi les plus connues de Gaston-Louis Roux . Nous pouvons citer entre autres Les Boules noires, toile ayant participée à l’exposition Surréaliste « Poésie » en 1932, dont nous avons parlé précédemment, L’Arracheur de dents, qui a inspiré Vitrac pour le numéro 7 de la revue Documents, ou les toiles ayant participées aux expositions personnelles de l’artiste à la galerie Simon/Louise Leiris. La renommé de la galerie Joan Gaspar, la publicité réalisée, les nombreux articles de presse , l’intérêt pour une peinture proche du mouvement surréaliste ainsi que le talent de Gaston-Louis Roux firent de cette exposition un véritable succès puisque toutes les œuvres furent très rapidement vendues. Les toiles achetées enrichirent, non pas les musées mais des collections particulières. Leurs propriétaires découvrirent ou connaissaient déjà cet artiste dont les œuvres jusqu’à présent ne se vendaient qu’au compte-gouttes par le truchement de ventes aux enchères , ou pour les connaisseurs, directement par le marchand ou les héritiers. Bref, pour acheter la production de l’artiste, il fallait être averti et patient.

Cependant, malgré les difficultés, en France également, certaines collections avaient pu se constituer comme l’atteste celle d’un collectionneur allemand résidant à Paris dont les achats des œuvres de Roux (majoritairement des dessins, des gouaches et quelques toiles) furent le résultat d’un passage à une exposition du peintre puis d’une rencontre avec les héritiers.

L’état possède également certaines œuvres de l’artiste provenant d’acquisitions ou de donation . Un temps remisée, la Chute d’Icare, léguée au Musée d’Art moderne de la ville de Paris par les Leiris, est, nous avons pu le constater, une toile emblématique de la production dès années trente de l’artiste et figure actuellement au troisième étage du Musée des Années trente de Boulogne-Billancourt, dans la section réservée aux avant-gardes. Le musée d’art moderne de la ville de Paris possède également un dessin de la période figurative daté de 1966, qui n’est pas exposé à ma connaissance. Selon Annick Michelet , l’Etat aurait réalisé l’achat de cinq œuvres (en 1958, 1962, 1964, 1966 et 1968) qui seraient réparties entre le Musée National d’Art Moderne, le Musée de l’Arsenal, la fondation Yvonne et Christian Zervos, le Musée de Roanne. Si toutes ces informations n’ont pu être vérifier, je peux affirmer que la Fondation Zervos ne détient actuellement aucune œuvre de Gaston-Louis Roux . La production artistique de Gaston-Louis Roux est également représentée à l’étranger : le Musée de Saarbrück en Allemagne posséderait une ou plusieurs œuvres de Gaston-Louis Roux et le Philadalphia Museum of Art détient et expose une Composition de 1927, acquise par A.E. Gallatin . Cette Composition qui fait partie de l’exposition permanente se veut représentative des avant-gardes françaises.

Ce parti pris par le Philadephia Museum of Art est sensiblement le même que celui des institutions françaises puisqu’à ma connaissance, seule la période dite moderne de l’artiste est valorisée. Il en va de même pour la récente exposition à la Galerie Joan Gaspar de Barcelone où les œuvres provenant du fond de la galerie Louise Leiris (qui détient également des toiles réalisée après 1950) sont toutes antérieures à 1947. Par conséquent, la production figurative que l’artiste a défendu de son vivant en participant à moult expositions, tend désormais à tomber dans l’oubli, bien que les artistes de la rue de Bourgogne soient jusqu’à récemment encore exposés.

Pour conclure, la dualité que l’on peut observer au sein de la carrière de l’artiste, se matérialise par un choix des acteurs du marché de l’art (institutions, marchands, amateurs) en faveur de l’une où l’autre des périodes, rarement des deux. Ce qui pourrait être un point fort (un public disparate et donc nombreux) est en réalité un handicap sérieux. Tant que les deux périodes continueront d’être comprises comme étant antagonistes, la reconnaissance de Gaston-Louis Roux sera partielle pour le circuit artistique et absente pour l’Histoire
de l’Art.


 

Conclusion

 

Comment mettre en évidence, en une centaine de pages, une création plastique atypique qui fut réalisée sur plus d’un quart de siècle foisonnant d’expérimentations en tout genre ? Dans le cas de Gaston-Louis Roux, la réalisation d’une monographie a permis de s’attarder sur la production thématique et formelle de l’artiste dans sa globalité et ainsi de mettre en avant un style personnel fait de continuités et de ruptures. Une attention particulière fut portée au contexte artistique entourant la production de Gaston-Louis Roux dans lequel l’artiste s’inscrit en positif ou en négatif. En effet, nous avons constaté que sa production de jeunesse est fortement influencée par les recherches avant-gardistes et par là-même ancrée dans le climat artistique de l’époque. Après 1950, la tendance s’inverse ; le peintre se détache volontairement des tendances actuelles de l’art et sa place au sein de la scène artistique devient complexe à situer.

Gaston-Louis Roux fut « l’homme de la trouvaille ». Reconnu comme un talent prometteur, pris sous contrat par un des marchands les plus importants du XXème siècle, entouré par les représentants de l’avant-garde, il produit une peinture personnelle, tangente au surréalisme et parfois influencée par le cubisme, dont l’humour est la principale caractéristique. Après une première rupture qui le conduit en Afrique pour assister Marcel Griaule en tant que « peintre de la Mission Dakar-Djibouti », Gaston-Louis Roux multiplie les recherches et poursuit une production dans la même direction que celle qu’il plébiscitait à la fin des années 20. Quoiqu’elle fut reconnue et appréciée en son temps, la peinture de l’artiste ne fera pas date dans l’Histoire de l’Art pour différentes raisons que nous avons évoquées précédemment. Une de ces raisons est sans nul doute l’attrait pour une figuration de type traditionnel au début des années cinquante. Un choix ardu à prendre pour l’artiste et complexe à comprendre pour une partie de la critique, des marchands ou des historiens de l’art. Il est difficile de nier que Gaston-Louis Roux s’écarte inexorablement des tendances de l’art contemporain. En peignant sur le motif, avec une technique figurative proche des peintres du XVIIIème siècle, l’artiste se détourne des recherches de l’art de son temps pour s’intéresser à ce qu’il juge plus pertinent à savoir l’étude de la réalité et sa transcription sur une surface plane. Le but de cette étude n’était pas de justifier un tel choix mais de comprendre par quel processus le peintre a choisi de se diriger vers une voie marginale.

La partie historiographique se présente à la fin de l’étude, comme une sorte de conclusion qui permettrait de relire l’ensemble de la monographie selon une autre orientation. Le choix délibéré de ne pas l’avoir placé au début s’explique par le désir de ne pas orienter le lecteur. En effet il existe selon moi au moins trois manières de percevoir la production d’un artiste : par un regard neuf, un angle historique ou une vision omnisciente. Le regard neuf, exempt de connaissance particulière se référant à l’artiste, peut être envisagé comme étant celui du spectateur lambda. L’approche historique ou téléologique replace la création de l’artiste dans son contexte, établit des connexions entre le peintre, les mouvements et les autres artistes de sa génération. Il s’agit généralement du regard d’un amateur éclairé ou d’un historien de l’art. Enfin la production de l’artiste peut être étudiée sous un regard omniscient, celui du critique ou de l’historien de l’art (peu scrupuleux) qui connaît déjà la place assignée à l’artiste dans l’Histoire de l’Art et porte sur sa production un jugement qui se réfère aux écrits faisant autorité en la matière. Pour aborder la période de jeunesse et comprendre la démarche de Gaston-Louis Roux, je souhaitais un regard débarrassé de prénotions où seule la production, placée dans son contexte historique et idéologique, soit mise en valeur.

L’Histoire de l’Art redécouvre sans cesse de nouveaux artistes méritant sa reconnaissance pour leur contribution à la production artistique d’une époque et leur originalité. Gaston-Louis Roux fait peut-être partie de ces artistes oubliés et non moins méritants. Le chemin menant à la célébration sera difficile à parcourir pour ce dernier. Si une galerie d’art espagnole, alliée à la galerie Louise Leiris tente effectivement de redonner un statut valorisant à l’Œuvre de jeunesse du peintre, les musées français n’en prennent pas la direction. Confrontés à des objectifs précis (« faire des entrées» entre autres) les institutions culturelles restent frileuses lorsqu’il s’agit d’exposer un artiste peu connu. Il en va ainsi pour les responsables du musée de Cahors qui, sur l’insistance d’un collectionneur, avaient projeté de monter une exposition des œuvres « modernes » de Gaston-Louis Roux. Projet qu’ils furent contraints d’abandonner de part le statut quasi-inconnu de l’artiste. La production du peintre semble prisonnière d’un cercle vicieux. Ses oeuvres ne sont pas exposées par les musées car elles ne sont pas mises en évidence par le biais de publications et l’Histoire de l’Art ne s’intéresse pas à elles car ces dernières ne sont pas institutionnalisées.

(source : « Gaston-Louis Roux, de Marie Perrier, Université Michel de Montaigne, Bordeaux III- Année 2003/2004 - Maîtrise d’Histoire de l’Art Contemporain - Sous la direction de M. Dominique Jarrassé »)