Peindre d’après Nature

L’année 1949 : retour délibéré vers la réalité permise par de nouveaux moyens stylistiques
La figuration selon Gaston-Louis Roux
Amitié avec Alberto Giacometti et Jean Hélion
L’annonce à Kahnweiler et ses conséquences
1962, galerie des Cahiers d’Art : une redécouverte de l’artiste
L'importance du dessin
Le soutien des poètes
Les expositions collectives : Comment se placer par rapport à l’art contemporain ?
L’association des artistes de la rue de Bourgogne

L’année 1949 : retour délibéré vers la réalité permis
par de nouveaux moyens stylistiques.
 

 

Si des recherches plastiques et de thèmes nouveaux sont abordées en 1949, les bouleversements stylistiques et thématiques amorcés précédemment sont encore à venir.

En effet, lors d’un voyage en Italie, il réalise plusieurs croquis « sur nature ». Nous avons vu que le peintre se livrait déjà à la peinture sur le motif depuis quelques années. Cependant, ces deux dessins sont importants car leur création coïncide avec la décision de l’artiste de prendre une direction plastique le rapprochant de la réalité. Ces croquis (crayon, pastel et gouache sur papier de 21cm x 27cm pour l’un et gouache et pastel sur papier de 50cm x 64,5cm pour l’autre), représentent la même maison : on discerne un escalier sur la gauche ainsi qu’une porte ouverte au centre. L’écriture, très gestuelle, utilisant massivement la ligne pour souligner les volumes, les détails ou les ombres, n’est pas une constante chez l’artiste. Bien qu’il utilise déjà cette dernière pour créer les personnages des toiles comme la famille du peintre II ou Mes enfants à l’aube . Cependant, dans ces deux toiles, l’écriture est utilisée uniquement pour les personnages, dans le but de les rendre le plus schématique possible. Il s’agit d’une écriture graphique, et non d’une écriture gestuelle prenant en charge l’ensemble de la composition.

La même année, il réalise d’autres oeuvres utilisant une ligne vive, gestuelle, qui semble incontrôlable par le peintre lui-même. C’est notamment le cas pour un portrait de Jeune fille au ruban bleu, (huile sur toile de 35cm sur 27cm). Cette nouvelle recherche, qui succède aux dessins « automatiques » des années quarante-cinq, permet au peintre de se séparer d’une peinture bien léchée , faite d’aplats de couleurs sans marque de pinceau, de formes si parfaites qu’elles semblaient être découpées et collées.

Dans les croquis qu’il réalise en Italie, Gaston-Louis Roux semble se laisser guider par une forme, une couleur dominante et on peut supposer que cette libération du geste, affranchie de la maîtrise technique, permet à Gaston-Louis Roux en peignant sur nature d’échapper à la figuration qu’il ne se sent probablement pas encore prêt à assumer.

L’écriture formelle utilisée, en 1949, par Gaston-Louis Roux me semble également proche de celle d’un autre artiste de la galerie Louise Leiris : Eugène de Kermadec. Ce dernier a inventé « une nouvelle figuration du volume » transcrit par « lacis de lignes qui, chez lui crée le volume, -un volume transparent, si l’on veut ». […] « Il n’y a ici ni le clair-obscur de l’Ecole, ni les plans superposés du cubisme, mais un moyen nouveau ». Son style, très spontané lui sert à traduire l’instant présent. La notion d’instantanéité étant un des fondements de son travail. Il ne me semble donc pas déraisonnable de conclure que Gaston-Louis Roux a cherché d’une part, à libérer son geste, et d’autre part à expérimenter de nouveaux moyens formels, plus spontanés, probablement mieux adaptés à la peinture sur le motif.

Pour conclure, je pense que le travail sur la matière, sa redécouverte même commencée en 1945 (La famille du Peintre II, par exemple), allié à la libération du geste (permise par les recherches sur l’automatisme) ainsi qu’un travail sur une écriture plus spontanée et plus expressive, s’inscrivent dans une démarche logique, aboutissant à un profond changement que le peintre sent inévitable.

Comme il l’indique lui-même, « la fameuse rupture [entre le style des peintures qu’il proposait à son marchand et la peinture d’après nature] elle n’est pas venue comme çà…ex abrupto… »

Ce profond changement est, certes, l’aboutissement de recherches picturales mais ces dernières sont subordonnées au désir du peintre de se consacrer à la peinture d’après nature, de retrouver « la vérité » après des années d’une peinture imaginaire, poétique voire métaphorique. Dans l’entretien qu’il consacre à Jean-Jacques Lévêque, en 1969, Gaston-Louis Roux explique qu’il est « contre toute espèce de littérature en art ». Or, le Surréalisme, mouvement dont il fut plastiquement proche pendant des années, est peut-être l’un des exemples les plus flagrants de la similitude entre l’écriture et la réalisation plastique. Il s’agit d’un art difficilement lisible, intellectuel, bref, l’exact contraire de ce vers quoi Gaston-Louis Roux se dirige.

C’est pourquoi, comme d’autres artistes de sa génération (je pense à Giacometti, ou encore Hélion), Gaston-Louis Roux s’est peu à peu affranchi, avant de rompre définitivement, avec des thèmes et des moyens plastiques qui ne correspondaient plus à la peinture qu’il voulait produire.

Dans ce même entretien, il s’explique sur cette rupture thématique et plastique : « c’était comme si vous voulez, une espèce de maladie honteuse que j’ai traînée au cours des années, enfin…je n’osais pas en parler…je n’osais pas montrer…enfin…le résultat de ce trouble…qui me faisait, un moment donné, ouvrir ma fenêtre et regarder le paysage et essayer de le peindre…Pendant la guerre, par exemple, j’étais dans le sud-ouest et j’ai commencé à faire quelques paysages que j’ai soigneusement…je ne les ai pas montrés…en tout cas dans les galeries qui s’occupaient de ma peinture. » Ces paysages d’après nature avaient été montrés à Pierre-Georges Bruguière, ami du peintre, qui déclare que Gaston-Louis Roux réalisait de « grands dessins, certains à l’aquarelle, qu’il fit à la campagne en 1941, tous semblables à ceux qu’il fait maintenant [en 1971, date de la rédaction
de l’article]».

En effet, en 1942, à l’époque où il peint Les Farfadets (huile sur toile, 65,5cm x 38cm), qui semble être un cousin du Loup-garou tant apprécié de Vitrac pour son esprit moderne et humoristique, il réalise également une aquarelle sur papier de 38cm sur 46cm, intitulé La Cour du curé, dans un style figuratif.

En 1944, à La Noue, petit village de l’Ile de Ré où le peintre et sa famille passe régulièrement leurs vacances, Gaston-Louis Roux réalise un dessin (50cm sur 65cm), utilisant le crayon, l’encre ainsi qu’une légère touche d’aquarelle sur papier. D’un geste rapide et nerveux, il esquisse un muret, recouvert en partie d’une vigne, derrière lequel apparaît un autre mur puis le toit d’une maison. Le foisonnement de la vigne est matérialisé par un enchevètrement de grappes et de feuilles, avec une accentutation des détails dans le centre de la composition. Les ombres quant à elles sont représentées par des hachures. Enfin une touche de couleur discrète vient parfaire la composition. L’artiste tente de retranscrire la réalité fugace de ce qu’il perçoit. Cette direction nouvelle donnée à son travail demeurera secondaire encore quelques années, la voie principale restant celle dite de la « modernité ». Pourtant, de plus en plus, cette obligation de s’inscrire dans « l’esprit moderne » lui pèse, comme ce fut le cas, nous aurons l’occasion d’y revenir, pour d’autres artistes de sa génération.

Cette cohabitation entre deux styles si différents semble avoir été à l’origine, comme Gaston-Louis Roux le dit lui-même, d’un « trouble ». Les moyens formels qui sont à sa disposition ne lui conviennent plus, ce qui explique probablement les recherches multidirectionnelles et les emprunts de l’artist, autour des années quarante, ainsi que le malaise lié à la gestation de l’œuvre que Georges Bataille avait révélé et explicité dans sa préface de l’exposition « Gaston-Louis Roux oeuvres récentes » à la Galerie Louise Leiris en 1947.

La décision de renoncer, d’une façon quasi totale, au style qui fut le sien durant des années fut difficile à prendre comme nous l’avons constaté. Pierre-Georges Bruiguière parle d’une conversion et réfute de terme d’évolution : « je dis conversion dans le sens qu’on donnait à ce mot au XVIIème siècle quand, au milieu de sa vie, un homme abandonnait une existence brillante et mondaine pour se retirer à la campagne ou dans un ermitage, loin des bruits de la ville, pour ne plus penser qu’à lui, au réel et à la vérité . » En effet, il s’agit bien pour Gaston-Louis Roux d’abandonner une voie qu’il connaît, qui lui a apporté une reconnaissance professionnelle, au profit d’une direction inconnue mais que l’authenticité artistique lui recommande de suivre. Cette rencontre avec la nature, Gaston-Louis Roux essaiera, sans relâche, de la traduire à travers ses œuvres. Cela deviendra une tâche obsessionnelle, parfois une véritable gageure, qui consistera suivant les mots de Michel Leiris à « reproduire à l’échelle (celle de la vision que l’on a eue) ce qui s’est réellement offert à votre œil et en fournir une transcription ressemblante. Problèmes en apparence innocents mais si élémentaires que se les poser revient à tout reprendre à zéro, tâche de Sisyphe. »

 

La figuration selon Gaston-Louis Roux

 

C’est Gaston-Louis Roux a très peu commenté sa démarche artistique. A ma connaissance, seuls l’entretien avec Jean-Jacques Lévêque et un texte rédigé par l’artiste sur l’art contemporain, à l’occasion de sa participation au Prix Marzotto en 1968, nous éclairent sur sa propre conception de l’art . Il me semble significatif de constater que c’est à propos de la figuration qu’il a ressenti le besoin de s’exprimer, voire même de justifier sa démarche stylistique, tant elle a dérouté (et déroute encore) bon nombre de ses contemporains.

Tout d’abord, il me parait important de mettre en évidence la confusion qui règne autour du concept de figuration, qui bien souvent est compris comme un synonyme de nature ou de réalisme. Ce dernier terme est lui-même flou car, comme l’écrit Brendan Prendeville, « on peut légitimement douter de la cohérence du mot «réalisme » étant donné les multiples significations que recouvre ce terme employé dans des contextes changeants et qui se rapportent à des oeuvres de natures différentes. ». Dans cette même optique, l’exposition intitulée « Les réalismes », qui se tient à Paris en 1981, met en évidence la diversité des dates et des préoccupations thématiques et formelles. Pour ne citer que quelques mouvements réalistes, je commencerai par évoquer la Nouvelle Objectivité, qui après la première guerre mondiale, regroupe des peintres comme Otto Dix ou Chrisitan Schad, le Réalisme Nouveau de Léger, le Réalisme socialiste (Pignon, Lurçat, etc…), le Nouveau Réalisme (Klein, César, Rauysse etc…) dont le manifeste fut rédigé en 1960 ou plus tard, l’Hyper Réalisme représenté par Richard Estes, Chuck Close ou Malcom Morley. Il est hors de notre propos de nous attarder sur les idées véhiculées par l’emploi d’une peinture réaliste de la part de ces artistes car leurs motivations, souvent en lien avec une dénonciation de la société moderne ou de la politique, sont différentes de celles de Roux. Ce dernier ne propose pas un art engagé ; Au contraire, il déclare avoir « une grande indifférence » pour son époque, seule l’intéresse une peinture qui transcrit le plus fidèlement possible sa vision du réel. Les sujets sont intimistes, jamais allégoriques, historiques ou sociaux. Le monde moderne n’intéresse pas l’artiste qui réalise relativement peu de paysages urbains privilégiant ceux consacré à la campagne et qui ne représente jamais de scènes de rue.

Cependant, la démarche de Gaston-Louis Roux n’est pas une exception dans l’Histoire de l’Art et peut être rapprochée de celle d’Hélion, de Giacometti voire même de certains peintres qui dans l’entre-deux-guerres se sont mis à peindre de manière réaliste. Dans ce cas précis, il faut comprendre le terme réaliste comme « l’observation scrupuleuse faite par l’artiste du modelé représenté, qu’il soit figure, visage ou nature morte. » Cette époque, qualifiée de retour à l’ordre reste relativement peu étudiée par rapport aux avant-gardes qui sévissent dans le même temps . La décision de Gaston-Louis Roux de ne peindre que sur le motif dans un style traditionnel fut prise en 1950, date largement postérieure à la période que l’on qualifie de retour à l’ordre. Cependant, nous avons montré que l’artiste, dès 1940 commence à peindre d’après nature, cachant les œuvres qui en résultent, tout en continuant à réaliser une production conforme à l’esprit de modernité que l’on attend de lui. De plus, cette période, où l’intérêt pour une peinture figurative se fait sentir auprès des peintres de l’avant-garde, ne fait que s’amorcer entre 1920 et 1940. En effet, si pour certains la peinture d’après nature n’est qu’une passade, d’autres au contraire, au mépris des quolibets, poursuivent dans cette voie.

Le concept de peinture figurative est, en ce qui concerne l’art contemporain, fortement connoté (peinture académique, imitation, manque d’imagination, etc…), déprécié par ceux qui défendent une certaine idée de la modernité et finalement très mal défini puisque, s’il est aisé de faire une distinction entre la figuration et l’abstraction, les degrés entre un style illusionniste et une peinture où l’on reconnaît vaguement quelques formes ne sont pas précisés. Ainsi, durant toute sa carrière, Gaston-Louis Roux aura utilisé la figuration ; seule la volonté d’un plus grand réalisme, entraînant une peinture sur le motif (l’inverse est également recevable) a changé.

Comme je le soulignais, Gaston-Louis Roux s’est lui-même expliqué sur le sujet. A la question, « quelle est votre position dans l’art contemporain », il évoque la place de la peinture figurative (utilisée par la peinture académique mais aussi par les surréalistes qui usent de ce que Roux nomme « les procédés raffinés de l’allusion »). Selon lui, « la différence entre une bonne et une mauvaise figuration étant cette petite marge –franchie par les meilleurs– entre le calendrier des Postes et une peinture de Claude Monet ». Il ajoute : « Que se propose l’art figuratif sinon de représenter le réel par une figure. On a trop souvent cru, surtout ces dernières années et en particulier sous l’influence de la science, que le réel n’était que forme, géométrie, couleur. Or le monde qui nous entoure, dont personne ne peut contester qu’il est réel, n’est pas uniquement l’assemblage de matériaux divers, inertes, mais il est lui-même l’idée mise sous une forme concrète et c’est pourquoi la peinture figurative veut saisir le réel, non seulement dans son apparence matérielle mais dans son contenu spirituel. L’idée n’est pas abstraite, elle est inséparable de la matière. Un peintre n’est ni un géomètre, ni un coloriste : il est celui qui, fidèle à la matière et par elle, exprime le concret dans sa totalité. »

Tous les concepts qui définissent l’art que Gaston-Louis Roux propose depuis 1949, et auxquels il restera fermement attaché jusqu’à la fin de sa vie, sont contenus dans cette citation.

Dans un premier temps, conscient que la figuration est une notion galvaudée, il met en évidence la complexité de ce style et la difficulté qui existe pour représenter le réel. Gaston-Louis Roux refuse d’être comparé aux peintres figuratifs traditionnels. Selon lui, de nombreux artistes dits « figuratifs » utilisent généralement la réalité comme « un point de départ, un tremplin » pour finalement en proposer une interprétation. « La nature reste le dictionnaire » fournissant des éléments que les peintres utilisent pour une composition. De ce fait, selon Gaétan Picon, « Il ne s’agit pas de produire, pour le regard, les meilleures combinaisons, usant de la nature comme de ce dictionnaire dont les mêmes mots permettent de fabriquer sans cesse des phrases nouvelles. » Au contraire Gaston-Louis Roux comme Giacometti n’interprètent pas le réel, ils tentent simplement, « bêtement » (selon le terme de Giacometti) et désespérément, de transcrire par le dessin et la peinture ce qui se présente à eux, de perfectionner l’exercice de la vision.

Ensuite l’artiste revient sur la notion de réalité insistant sur le lien constant et indéfectible unissant « l’idée » et « la forme concrète », l’esprit et la matière. Pierre-Georges Bruguière, s’intéressant à cette problématique, explicite les réflexions de l’artiste : « La forme naturelle des objets, celle en laquelle on les voit, est par nature de l’esprit. Elle est forme intellectuelle par laquelle on conçoit et c’est elle qui donne à voir. La vision n’est que pensée immédiate. Ne pas admettre qu’il n’y a de forme intellectuelle rendrait impossible d’expliquer pourquoi des tracés sur une toile nous donneraient à voir autre chose que ces tracés. »

Gaston-Louis Roux plante son chevalet et tente de matérialiser sur la toile, avec acharnement et le plus « humblement possible » une vision de la réalité qui, si elle est concrète, doit également être comprise dans sa dimension spirituelle. Alors, comme des générations de peintres avant lui, Gaston-Louis Roux scrute la réalité, comme il le déclare lui-même, « je suis devant cette nature morte, devant cette femme, devant ce visage, chaque matin toujours nouveau, qui est pour moi insaisissable et que tout de même, avec une patience de bœuf, j’essaie de voir un peu mieux dans une contemplation qui est aussi une sorte d’envoûtement . »

 

Amitié avec Alberto Giacometti et Jean Hélion

 

Durant cette période d’hésitation, de doute, précédant la décision ferme et définitive de ne peindre que d’après nature, un artiste eut une influence considérable sur le choix de Gaston-Louis Roux et constitua pour lui un véritable soutien.

Il s’agit d’Alberto Giacometti. Gaston-Louis Roux et lui s’étaient rencontrés peu avant les années trente et d’après Patrick Waldberg « déjà la sympathie entre eux était vive. Ce sentiment s’est fortifié au cours des années pour devenir enfin une amitié profonde dans laquelle Roux puisa son courage. » Cette amitié réciproque entre les deux artistes m’a été confirmée par la famille de Gaston-Louis Roux qui insiste sur le fait que les Giacometti (Alberto et son frère Diego) se rendaient très souvent à leur domicile pour déjeuner et discuter. Tous deux ont vivement incité Gaston-Louis Roux à poursuivre dans la voie qu’il pensait être la sienne.

Qui, mieux qu’Alberto Giacometti, aurait pu comprendre «le drame qui s’abattait sur Roux»? En effet, le sculpteur, de trois ans son ainé, avait dès 1936, renoncé à une production d’influence surréaliste pour se consacrer à parfaire « l’exercice de la vision » d’après nature. De ce fait, il encouragea Gaston-Louis Roux, par son exemple bien sûr, mais aussi par des mots et des actions, comme l’achat en 1949 de deux petits paysages italiens de Gaston-Louis Roux « tout à fait réalistes, [avec des] sépias très aérés ». Cet achat signifia pour Gaston-Louis Roux l’appui d’un homme qu’il admirait et sur lequel il pourrait compter.

En 1956, Giacometti réalise le Portrait de Gaston-Louis Roux, comme il le faisait pour les gens dont il se sentait proche.

Dans son article paru dans Critique en 1961, Patrick Walbderg, ami des deux artistes, revient sur les propos que Giacometti aurait tenus sur Gaston-Louis Roux :

« J’aime sa légèreté, m’a-t-il dit, cette légèreté qui le rend proche à mes yeux, d’un personnage du XVIIIème siècle. Il me fait penser à Haendel. Dans sa nouvelle peinture, il a retrouvé, adaptés à notre sensibilité moderne, les problèmes que cherchaient à résoudre Fragonard, Chardin. Ce qui me frappe chez Roux, c’est à quel point il est peintre, quoiqu’il fasse. Il est peintre d’instinct, je dirais presque « un peintre malgré lui ». Par ailleurs, délicat, vulnérable. J’admire son énorme courage. Il aurait pu si facilement continuer là où il ne courait plus de risques. Au lieu de cela, par goût de la vérité, par scrupule, il s’est mis à travailler à contre courant. On ne l’a pas situé, ni compris. Sa peinture est aujourd’hui l’une des seules qui m’interesse. »

En 1962, date de la première exposition personnelle du peintre depuis qu’il peint sur nature, Alberto Giacometti rédige la préface du catalogue qu’il conclut par :

«Depuis des années je regarde passionnément la peinture de Gaston-Louis Roux, parce que quelquefois, souvent, elle me touche et m’émeut comme un moment ressenti quelque part dans le temps, dans la vie que nous appellons réelle ; sa guinguettte dans un paysage, dans une lumière de rêve.

Je ne peux jamais rien demander d’autre à la peinture.

Parce que G.L. Roux se passionne dans une activité aussi impossible, parce qu’il a son regard et sa démarche, je suis son ami. »

Cette critique élogieuse de la part de Giacometti met en évidence la qualité de la peinture de Gaston-Louis Roux, qui « émeut » de part le regard particulier que le peintre porte sur la réalité et souligne la difficulté de la tâche à laquelle Roux s’attaque.

L’artiste insiste beaucoup, aux cours des rares entretiens qu’il a pu accorder, sur l’importance de l’effet que l’encouragement de Giacometti a eu sur lui ; à Jean-Jacques Lévêque, qui citait Giacometti comme « un compagnon » de route vers l’approche de la réalité, Gaston-Louis Roux répond : « vous me disiez en parlant de Giacometti « mon compagnon », moi j’irai beaucoup plus loin en disant : c’était mon maître. Cet homme m’a encouragé. » Il en va de même dans les propos que l’artiste tient à Patrick Waldberg : « si je n’avais été soutenu par l’amitié d’Alberto dans les années noires –cela tu peux le dire– je crois bien que je ne peindrais plus du tout. » Les années noires auxquelles l’artiste fait référence sont probablement celles qui suivirent l’annonce, faite à Daniel-Henry Kahnweiler (sur laquelle nous reviendront dans la partie suivante), de ne peindre que d’après nature.

Le comportement de Giacometti sera suivi par certains artistes apercevant, dans la démarche de Gaston-Louis Roux, un acte de courage. D’autres, au contraire, ne le soutiendront pas, voyant dans son changement de direction, une régression.

Jean Hélion (1904-1987) fut de ceux qui offrit à Gaston-Louis Roux un soutien indéféctible, parce qu’il avait décidé, depuis les années quarante-cinq environ, de revenir à une peinture plus figurative puis au motif, son retour qu’il explique, en 1948, en ces termes: « De 1936 à 1939, j’ai essayé de contraindre mes compositions abstraites, et les éléments qui les formaient, à se charger de la qualité des figures du monde que j’avais toujours ambitionné de peindre. Une sphère devait maintenant resignifier une tête ; un cylindre resignifier un bras ; un rectangle rebâtir un mur ; une transparence refaire l’eau. Si bien que je me suis trouvé, fin 38 ou en 39, face à des éléments dont l’abstraction éclatait partout :où l’image du monde bourgeonnait sourdement. Je m’en suis apperçu et je suis retourné au motif. » Ainsi, lorsque Gaston-Louis Roux se rapproche de la peinture d’apès nature et d’une figuration à caractère traditionnel, il se lie d’amitié avec Hélion, comme l’atteste une correspondance suivie entre les deux hommes aux alentours de 1956. Comme Giacometti, Hélion exhorte Gaston-Louis Roux à poursuivre dans la voie qu’il croit être la sienne : « Je veux te dire ce dont je suis bien sûr : n’aie pas d’inquiétude, tu es en train de faire ce qu’il t’appartient de faire. C’est bien là ta voie authentique et le ton le plus juste de ta voie. Ce que j’ai vu est très bon. Tu y es. Il n’y a plus qu’à dépenser ton être et ta vie [tout ?] entiers . » Dans cette carte postale de 1956, Hélion met en évidence les doutes qui assaillent Gaston-Louis Roux depuis des années, peut-être de plus en plus pressants au moment où l’artiste va faire (ou vient de faire ?) part à son marchand de son changement de direction, thématique et formelle.

J’ai choisi de rapprocher Gaston-Louis Roux d’Alberto Giacometti et de Hélion car leur parcours et leur choix de ne peindre que d’après nature me semblent assez semblables. Dans cettte perspective, il semble évident qu’un certain nombre d’artistes auraient pu leur être adjoint mais tous n’ont pas eu des relations amicales et professionnelles intenses avec Gaston-Louis Roux. Les rapprochements possibles entre les œuvres de Giacometti, Hélion et Gaston-Louis Roux s’arrêtent à la volonté commune des trois artistes de transcrire la réalité. En effet, les moyens picturaux employés par les trois hommes ne sont pas les mêmes : le traitement formel et l’approche de la réalité sont différents. Chacun développe un style et des thématiques (importance de l’espace et de la figure humaine pour Giacometti par exemple) qui lui est propre .

 
L’annonce à Kahnweiler et ses conséquences :

 

Après des années d’hésitations, mais fort de sa décision fermement arrêtée, il annonce, en 1950, à Daniel-Henry Kahnweiler, son unique marchand depuis 23 ans, qu’il ne peindra désormais que d’après nature. Cette intention de peindre sur le motif s’accompagne, chez l’artiste, d’une inflexion vers un réalisme plus conventionnel, en vigueur dans les genres figuratifs traditionnels, portraits, natures mortes et paysages.

La décision, ô combien difficile à prendre, fut, comme nous l’avons montrée, nécessaire pour l’intégrité de l’artiste qui ne croit plus à l’écriture picturale qui fut la sienne pendant des années. Elle est acceptée par le marchand qui pense que ce choix correspond à une passade et attend que le peintre revienne à quelque chose de plus personnel et sous-entendu, à un style correspondant davantage à l’esprit de la galerie. Or Gaston-Louis Roux déclare vouloir s’engager sa propre voie, à savoir une peinture figurative d’après nature, « pour tenter de réaliser une œuvre qui constituera le message, si court et si anachronique puisse-t-il sembler mais que je pense fermement être authentiquement le mien. ».

Les œuvres qu’il présente à Daniel-Henry Kahnweiler à partir de 1950 et que ce dernier accroche aux murs de sa galerie ont pour thèmes son atelier impasse Ronsin (Un coin d’atelier, huile sur toile, 69cm sur 54cm, 1953) un coin de son jardin (Le pavillon du fond de la cour, encre sur papier, 65cm x 50cm, 1951), l’Ile de Ré où il passe ses vacances, une série de philodendrons (Philodendron II, huile sur toile de 61cm sur 50cm, 1955), des portraits de sa femme, des autoportraits, des nus (...) Ces thématiques, relatives à l’intimité du peintre (qui ne peindra jamais de scènes de rue par exemple), resteront les siennes pendant plus d’une vingtaine d’années.

Il me semble donc justifié de décrire les lieux familiers de l’artiste. Je laisse ce soin à Pierre-Georges Bruguière :

« Gaston-Louis Roux habitait depuis de nombreuses années [1935] et jusqu’à ces derniers mois [octobre 1970], 6 impasse Ronsin. Un porche traversait le pavillon en bordure de l’impasse. Il ouvrait sur une longue cour au sol de gravier. A gauche était édifié un étroit appentis adossé tout au long d’un mur mitoyen. Des ateliers d’architecte l’occupait (sic) en contrebas. La façade était entièrement vitrée comme une serre. A droite au contraire s’élevaient de hauts ateliers, c’est là au premier étage qu’étaient les ateliers de Roux. Adossé au fond de la cour, c’est cela seulement que l’on voyait en entrant, un petit pavillon bourgeois au rez-de-chaussée et d’un étage derrière une sorte de massif broussailleux planté d’arbres avec de vieilles statues noircies par les pluies, donnait à cette cour un aspect de jardin de campagne d’un ancien temps. Sur les murs un crépi rose vif délavé par endroit et une vigne vierge qui à l’angle droit au fond montait jusqu’aux faîtes des bâtiments. Sous cette vigne vierge, tout à droite, une porte donnait accès à un escalier qui conduisait aux deux grands ateliers contigus qu’occupait Gaston-Louis Roux.

Le premier atelier servait à la vie familiale. Près de la porte d’entrée, le piano et une grande armoire rustique, au fond en face de l’entrée, le buffet avec au-dessus une grande glace puis, à coté, l’entrée du second atelier. C’est dans la première moitié de ce second atelier qu’il travaillait. Au dessus du vitrage, une table avec pots et pinceaux, au mur le râtelier de pipes. Dans la seconde partie, au-delà d’un rempart de chevalets, un poêle, une presse [qui fut achetée par l’artiste vers 1955/1960], le philodendron sur une sellette, au fond un long meuble où s’entassaient les tableaux. Les principaux thèmes de paysages et d’intérieurs qu’il peint à Paris sont là. L’Ile de Ré l’été, La Noue [petit village près de Sainte Marie], une maison louée depuis de nombreuses années, un petit jardin et son mur, sa treille, son arbre, son massif de géraniums. Non loin un taillis d’arbres, une allée, une maison de ferme dans la campagne et proche d’un bois [le bois de Cousinet] »

Pour conclure ce panorama des thèmes des tableaux de l’artiste j’ajoute que Gaston-Louis Roux exécute également de nombreux portraits (de sa femme notamment), des autoportraits, des nus féminins ainsi que des représentations de nature morte ou de végétation.

Comme le montrent les gouaches sur papier (gouache de 36cm sur 48cm datée de 1951, et gouache, encre et pastel de 25cm sur 33cm daté de 1953), La terrasse de la rue Blanche (aquarelle sur papier de 50cm sur 65cm datée de 1954) ou encore Le Marronnier II (huile sur toile de 46,5cm sur 55,5cm datée de 1954), l’artiste multiplie les recherches stylistiques.

L’écriture est parfois violente et saccadée, composée de coups de crayon rectilignes et précis comme l’atteste le dessin Le pavillon du fond de la cour (encre de chine sur papier de 60cm sur 50cm datée de 1951) ou encore Le Marronnier II dont la forme de l’arbre et l’abondance des branches sont mises en avant par un travail sur la multiplication des lignes verticales, alors que les lignes des immeubles au second plan sont horizontales. Dans ce tableau l’artiste travaille également sur la notion d’espace ; la perspective, habituellement ouverte dans ce type de vue urbaine, est ici masquée par un arbre touffu, invitant le spectateur à diriger son regard entre les branches, vers un espace caché et volontairement réduit, qui se dévoile peu à peu. Pendant que l’œil est absorbé par ce qu’il tente de déchiffrer entre les branches, oubliant de ce fait l’arbre lui-même, ce dernier se rappelle à lui par un effet de lumière. L’arbre est mis en valeur par un jeu de couleurs : la tonalité majoritairement sombre du tableau est égayée par des touches de couleur jaune, comme des touches de lumière, sur les bourgeons à l’extrémité des branches, formant ainsi autour de l’arbre une sorte d’auréole des plus poétiques qui met en valeur la forme ronde et centrale de la composition.

Le peintre sait adapter la graphie au sujet qu’il doit représenter. Ainsi, dans une gouache de 1951 la ligne se fait plus courbe, dessinant des volutes pour représenter les feuilles d’un figuier.

Si des différences stylistique se font sentir, on remarque néanmoins que dans tous les dessins et tableaux de l’époque, l’artiste porte un intérêt particulier aux détails. Ce souci du détail se traduit, non pas par une grande précision du dessin, mais plutôt par une multitude de lignes, très serrées, parfois sinueuses (comme celles suggérant les feuillages dans Saint-Martin de Ré), parfois rectilignes (pour représenter les immeubles au second plan de La terrasse de la rue Blanche).

Parallèlement à une écriture picturale proche du dessin, le peintre s’intéresse à la matière et réalise des œuvres en rapport avec le style qu’il développera par la suite et sur le quel nous aurons l’occasion de revenir lors de l’exposition personnelle du peintre à la Galerie des Cahiers d’art en 1962.

Les tableaux proposés à Kahnweiler ne correspondent pas aux attentes du marchand. Ce dernier, dans les entretiens avec Francis Crémieux, déclare que Gaston-Louis Roux « s’était mis à peindre des tableaux, des tableautins plutôt, presque tous anodins, vraiment, dont on ne pourrait même pas dire à quoi ça se rattachait au juste. Il y avait une légère influence de Gruber , pour le situer un peu et encore ce n’est pas tout à fait ça. » Gaston-Louis Roux a assez de perspicacité pour comprendre l’embarras du marchand. C’est pour cette raison qu’il choisit d’envoyer une lettre, en 1956 (date qui coïncide volontairement avec le déménagement de la galerie Louise Leiris au 47 de la rue Monceau ), dans laquelle il libère Kahnweiler de son engagement. « Je suis conscient de plus en plus nettement des problèmes que pose pour vous et votre entourage l’accrochage de mes toiles à la galerie, vis-à-vis des autres peintres et des amateurs. […] Ce qui m’amènerait éventuellement à trouver ces raisons suffisantes si votre intention était, au terme de notre accord, de ne plus poursuivre votre effort et de vous séparer de moi. J’en accepterais sans rancœur toutes les conséquences. » Nous avons déjà eu l’occasion de montrer l’amitié et le profond respect qui unissaient les deux hommes. C’est donc avec émotion que Kahnweiler mit un terme à une collaboration de presque trente ans, concédant à l’artiste que l’accrochage de ses toiles lors d’une exposition lui semble compromis en l’état actuel de sa peinture. Gaston-Louis Roux ayant fait comprendre explicitement au marchand qu’il continuerait sur la voie qui était à présent la sienne, Kahnweiler, de son coté, ne pouvant défendre une peinture en laquelle il ne croit pas, si différente des tendances modernes, la rupture est inévitable et sera définitive.


1962, galerie des Cahiers d’Art : une redécouverte de l’artiste

 

Durant Après 1947, le peintre ne connaît aucune exposition personnelle à la Galerie Louise Leiris. Il faut attendre 1962 pour que Gaston-Louis Roux connaisse à nouveau une exposition personnelle. Quinze ans se sont écoulés entre sa dernière exposition personnelle (à la galerie Simon) et celle qui lui est consacrée à la galerie des Cahiers d’art, 14 rue du Dragon, à Paris. Laps de temps relativement long, mais qui fut probablement nécessaire à l’artiste qui selon ses propres dires, doit « recommencer par le commencement », très incertain de sa technique et du résultat.

 

Reproduction d’une photographie de l’exposition Gaston-Louis Roux
à la Galerie des Cahiers d’Art en 1962.

 

 

C’est donc fort d’une nouvelle maturité et d’un-savoir faire qu’il continue de perfectionner chaque jour, que Gaston-Louis Roux peut, sans la gêne qu’il ressentait lorsqu’il parlait de sa nouvelle production à Kahnweiler , présenter ses œuvres récentes. L’occasion lui fut offerte par la Galerie des Cahiers d’art, qui doit son nom à la célèbre revue artistique dirigée par Christian Zervos, ce qui n’est pas un hasard puisque c’est l’épouse du critique, Yvonne Zervos, qui gère la galerie. Celle-ci, ouverte depuis 1927, défendait selon Pierre-Georges Bruguière, « les valeurs les plus authentiques de l’art. ».

Aux murs, ce sont les peintures récentes de Gaston-Louis Roux qui sont proposées au public : on peut y reconnaître les Toits de l’impasse Ronsin (huile sur toile de 1961), des paysages de l’Ile de Ré, des portraits ainsi que des natures mortes. Cela nous est confirmé par Jacques Michel qui annonce dans Le Monde du 8 juin 1962, la réapparition de l’ « ancien poulain de Kahnweiler » qui après « une longue période de doute et de recherche inquiète est retourné « sereinement à la réalité » : « Le voici qui réapparaît aujourd’hui. Que nous montre-t-il ? Des arbres, des jardins, des intérieurs familiers (principalement son atelier). Chaque chose est à sa place, rendue dans ses justes proportions, sans superflu. » Il est significatif que Jacques Michel emploie le terme de « réapparition » car, comme nous avons pu le constater, c’est en effet de cela qu’il s’agit, le peintre n’ayant pas connu d’exposition personnelle depuis 1947.

L’exposition qui se tient à la galerie des Cahiers d’art du 15 mai au 16 juin 1962 est donc non seulement un signe de la réapparition du peintre sur la scène artistique mais aussi une sorte de reconnaissance de sa « nouvelle » peinture. Reconnaissance appuyée par Giacometti qui rédige la préface du catalogue d’exposition (Doc.49) et explicite, en de très courtes lignes pleines d’émotion, pourquoi il aime la peinture de Gaston-Louis Roux.

Les œuvres qui sont exposées présentent certaines caractéristiques spécifiques. La première est la gamme chromatique utilisée par l’artiste. En effet, lorsque l’on observe Toits, impasse Ronsin, l’Autoportrait (huile sur toile, 81cm x 65cm, 1957) ou encore Le Portrait d’une jeune fille, on constate que le peintre se sert d’une palette beaucoup moins vive que celle utilisée auparavant, constituée cette fois de gris, d’ocre, de marron dont la tonalité varie finalement peu. « La couleur ? Il s’en méfie. « Voyez-vous ce vert, dit-il en me montrant une de ses toiles, c’est pour moi à la limite de la stridence » ». Alors pour mettre en valeur une harmonie avec la nature, l’artiste utilise des coloris sourds, « il a amorti le bruit des couleurs » et « calfeutré la tonalité ».

Cependant, ce qui, selon certains, tendrait vers la monochromie est égayé par un jeu sur la lumière comme dans l’Autoportrait où une partie du visage de l’artiste, triste et sévère, est éclairé par la droite. Cette économie de moyens, que nous venons d’aborder, permet de mettre en valeur ce que Jacques Michel appelle « une ambiance lumineuse ». Il me semble que cette expression prend son sens avec un tableau comme Le Portrait d’une jeune fille où le personnage semble baigner dans un halo lumineux, effet provoqué par la blancheur de son chemiser et de sa peau sur un fond que l’on pourrait qualifier de neutre. En effet, ce dernier se compose de couleurs éteintes, variant du bruns au gris, et n’est qu’un faire- valoir pour la figure principale qui, de par la différence de tonalité, semble irradier.

La façon de traiter la forme a également été modifiée. Le peintre ne travaille plus la ligne, comme il avait pu le faire pour Le Marronnier II ou La terrasse de la rue Blanche mais semble avoir retrouvé la matière. Les coups de pinceaux sont visibles, larges, rapides, suggérant la forme plus qu’ils ne la dessinent, bien que le souci du détail soit toujours présent comme le confirme le traitement du regard dans l’Autoportrait par exemple.

En permettant à Gaston-Louis Roux d’exposer de nouveau, la galerie des Cahiers d’art ouvre la voie à un bon nombre d’autres expositions qui mettront en valeur les travaux récents de l’artiste. C’est ainsi que, sans avoir de marchand attitré comme ce fut le cas pendant les trente années précédentes, Gaston-Louis Roux enchaîne les expositions. Les contacts s’opèrent par le bouche-à-oreille dans un réseau de galeries où l’art figuratif est valorisé au même titre que l’art d’avant-garde.

Ainsi en 1963 il expose à la galerie Janine Hao un ensemble d’aquarelles, de gravures et de dessins, sur lesquels nous aurons l’occasion de nous attarder longuement en montrant l’importance du dessin pour le peintre. En 1964, la galerie Jeanne Castel présente une série de peintures, puis en 1966 il expose à nouveau dans la galerie de Janine Hao avant que ne lui soient organisées quatre expositions personnelles dans la galerie Henriette Gomès (en 1968, 1971, 1974 et 1978).

Dans ces galeries, l’artiste présente des séries de peintures qui nous permettent de mettre en évidence les thèmes développés par l’artiste et le traitement formel qu’il utilise.

Comme je l’ai déjà souligné, Gaston-Louis Roux peint ce qui l’entoure. En utilisant la description de Pierre-Georges Bruguière, j’ai évoqué que le peintre tente de transcrire ce qu’il a sous les yeux : un atelier à la lumière douce dans une oasis de verdure au cœur de Paris l’hiver et l’Ile de Ré l’été. En 1970, la dualité est conservée mais les lieux se modifient : expropriée de l’impasse Ronsin pour cause d’agrandissement de l’hôpital Necker jouxtant l’atelier, la famille Roux achète une maison dans la Gard, près de Seynes, afin de pouvoir y vivre si elle ne trouve pas de nouvel atelier à Paris. Fort heureusement, par l’intermédiaire d’André Malraux, les Roux sont relogés dans des ateliers d’artistes nouvellement construits, impasse Ricaut, près de la place d’Italie et passent leurs vacances dans le Gard.

En se livrant à une analyse thématiques des oeuvres de Gaston-Louis Roux, on s’aperçoit que le peintre pose son regard sur les paysages campagnards, les paysages urbains, sa maison, son atelier, les végétaux, les animaux, les natures mortes, ses proches, lui-même (…), bref : tout ce qui est visible intéresse l’artiste. Il n’y a pas de prédominance du paysage sur le portrait, de la nature morte sur le nu, tous sont complémentaires pour tenter d’approcher la réalité dans sa globalité. Cependant, on peut noter qu’il n’aborde jamais des scènes de rue comme le faisait Jean Hélion par exemple. Ses œuvres montrent une réalité intime et naturelle.

Jacques Baron, dans un article intitulé « Gaston-Louis Roux et l’art du portrait » insiste sur cette complémentarité. L’écrivain se plait à rapporter les propos du Marquis de Custine, « ma patrie à moi est partout ou j’admire », auxquels il ajoute, « la patrie de Gaston-Louis Roux est partout où son regard se pose : un coin de jardin ou de rue, une allée d’arbres, un arrosoir, un bouquet. Cette patrie émotionnelle n’aurait sans doute pas la même étendue si l’on n’y rencontrait le visage humain ».

Gaétan Picon, quant à lui, souligne, « le peintre n’a pas besoin de choisir : n’importe quoi offre le même intérêt, contient le même défi ». Ce défi, c’est essayer de retranscrire sur la toile, sa propre vision de la réalité. Selon moi, l’affirmation de Gaétan Picon est à nuancer. Le fait que l’artiste représente ce qui lui est familier ne signifie pas qu’il renonce à faire des choix. En effet, si le but de Gaston-Louis Roux est de représenter le plus fidèlement ce qu’il voit, et si le choix de ses sujets se détermine par la proximité, le peintre accomplit consciemment ou non certains choix comme une préférence pour un angle de vue, un moment de la journée. Ces choix sont des paramètres qui influeront respectivement sur la représentation du traitement de l’espace et de la lumière. De plus, le peintre a des modèles pour les nus qu’il est obligé de diriger, de positionner. Les portraits qu’il réalise sont le plus souvent ceux de ses proches, on pourrait donc supposer que le choix s’impose par facilité. Or, dans un article, le peintre affirme son libre arbitre en déclarant : « je ne peins que les êtres que j’aime et que je connais ».

Cependant, si, comme nous venons de le montrer le peintre procède à certains choix, ceux-ci sont surtout axés sur la forme plus que sur le sujet lui-même ; l’hypothèse de Gaétan Picon est donc en partie recevable, car ce qui compte le plus pour l’artiste est de traduire, par des moyens picturaux, ce qu’il voit et par conséquent, une réalité qui n’est pas modifiée.

Intéressons-nous directement aux œuvres, qui seules sont capables de nous montrer l’étude de la réalité selon Gaston-Louis Roux. Les peintures de l’artiste ont été regroupées par genre, non pas, comme nous l’avons souligné précédemment, pour montrer la prédominance de l’un sur l’autre mais pour analyser le traitement formel et l’évolution picturale au sein d’un même ensemble. Des éléments, comme la gamme chromatique, la représentation de l’espace, la lumière ou encore la touche, permettent de montrer, au-delà des thèmes, le style général et les recherches plastiques de l’artiste.

Nous avions montré que les toiles des années cinquante et du début des années soixante respectaient une gamme chromatique plutôt sourde, faite de gris, de marron et d’ocre. Franck Elgar justifie cette économie en écrivant : « les gris lui suffisent pour rendre la lumière […]. Aucun éclat, aucun écart ». Les tableaux des années 1963-1965 s’inscrivent encore dans une tonalité calfeutrée et une gamme de valeur réduite qui servent une impression d’intimité et de douceur. Ainsi, dans Le Portrait de Pauline, (huile sur toile de 40,5cm sur 56cm datée de 1965, le peintre utilise une palette harmonieuse, consituée de gris, ocre et blanc cassé. Par des couleurs d’une même tonalité et une touche vaporeuse, les cheveux et le chemisier de sa femme semblent se confondre avec le fond, faisant ressortir le visage sur lequel toute l’attention du peintre semble être concentrée. En effet, le visage est traité avec minutie, la gamme chromatique et les valeurs se font plus fines, à la manière des minutieux coups de pinceau qui marquent chaque trait, chaque rougeur aussi et dessinent un regard profond. Une grande douceur, une certaine poésie même, se dégagent des portraits qu’il réalise de sa femme. Nous avons déjà souligné que le peintre ne peint que les gens qu’il aime, pouvant ainsi représenter non seulement une enveloppe charnelle mais aussi l’âme.

Gaston-Louis Roux fut particulièrement admiré pour ses talents de portraitiste : un article de Libération évoque « un portraitiste doué d’une fine pénétration psychologique » et Jacques Baron déclare que de « ces portraits se dégage tout le possible de la communication humaine. Le peintre est attentif à ne rien laisser perdre de la respiration de l’âme à travers la peau de son modèle. Il ne s’agit pas, bien entendu de psychologie, mais d’une sympathie agissante par les moyens de l’art. »

Des œuvres comme Les Trois statuettes II et III, (huiles sur toile de 64cm x 80cm, et 64cm x 45,5cm datées de 1964) permettent d’aborder plusieurs aspects du travail de l’artiste. Pour commencer, elles sont l’illustration du travail répétitif, pour ne pas dire sériel du peintre qui tente inlassablement de traduire sa vision de la réalité. Ces deux œuvres qui sont probablement devancées d’une première ont un cadrage différent (plus resserré pour Les Trois statuettes II) et un choix de format différent (paysage pour la première œuvre, portrait pour la seconde). Le peintre les représente sous un même angle (légèrement de biais) mais sa position a changé verticalement : il semble qu’il ait peint assis Les Trois statuettes II et debout Les Trois statuette III .

Les Trois statuettes sont la représentation d’un coin de l’habitation du peintre où l’on peut apercevoir le chauffe-eau, deux étagères surmontées de pots et de statuettes. On remarque que l’artiste ne traite pas son sujet comme s’il s’agissait d’une nature morte : les objets (les trois statuettes par exemple) ne sont pas représentés dans leur singularité mais sont compris comme les éléments d’un ensemble. L’artiste ne compose pas la réalité mais sr place devant un endroit, un objet qui l’interpelle pour différentes raisons. Dans le cas des trois statuettes, le peintre a probablement été intéressé par la lumière et les volumes structurés. En effet, comme à son habitude, Gaston-Louis Roux a su rendre, par une économie chromatique, une atmosphère douce, harmonieuse, où la lumière tient une grande place sans agresser l’œil du spectateur. Jacques Michel parle d’une « ambiance lumineuse », terme qui me parait tout à fait approprié à l’effet rendu par l’alternance, encore ténue, des valeurs et l’emploi de tons légèrement plus vifs. Dans Les trois statuettes II, le jaune fait une apparition plus marquée que dans les tableaux précédents, il entre par la fenêtre, caresse légèrement les objets et réchauffe les bois. Il semble que la toile Les Trois statuettes III fut peinte à un autre moment de la journée, comme le laisse supposer la lumière, d’une tonalité orangée, qui filtre par la fenêtre mais ne laisse qu’une empreinte très délicate sur les objets et le gris domine à nouveau.

Les étagères, le chauffe-eau, (volumes cubiques ou rectangulaires) sont brossés avec une touche qui les suggère plus qu’elle ne les structure : la géométrie des formes ne donne pas un aspect rigide à l’ensemble de la composition. Cet effet de douceur est conféré par le traitement de la matière. Le peintre utilise un large pinceau et d’un geste vif esquisse une atmosphère et les grandes lignes des formes qui s’imposent à lui. Il travaille ensuite plus en détail, apportant, par superposition de couches, une plus grande subtilité des valeurs (c’est le cas notamment de l’angle droit en bas de Trois statuettes III où le peintre a d’abord appliqué une couche de couleur noire sur laquelle se superposent de larges touches d’ocre et de blanc). Au final, il accentue quelques ombres et souligne des détails ou des élément (le chauffe-eau par exemple) d’un fin trait noir qu’il multiplie en fonction de l’effet souhaité.

Les coups de pinceaux, comme autant de hachures diagonales, horizontales ou verticales, donnent du mouvement, du relief et de la vitalité à la composition.

Ce même procédé sera conservé et appliqué dans certaines œuvres plus tardives comme Le Tapis bleu de 1974. En effet, si les tons gris et les traits noirs soulignant les ombres et les détails ont disparu au profit de la couleur, le geste vif et spontané du pinceau est conservé. Comme dans Les Trois statuettes III, le peintre superpose les couleurs, par le truchement d’une touche gestuelle, pour donner relief et mouvement à la composition : le sol, les murs et le tapis en sont des exemples. De la même manière, qu’il éclairait certains endroits par des hachures plus claires, le peintre utilise à présent le rouge, le jaune et le bleu vif pour transcrire la lumière qui, nous y reviendrons, est beaucoup plus crue dans l’atelier de l’impasse Ricaut.

D’autres natures mortes comme Le Piano, Le Vase éthiopien, Les Boutures ou encore Patience montrent un traitement formel différent. En effet, la touche du peintre se fait moins présente, nettement moins gestuelle, au profit d’une peinture « bien léchée », qui rappelle les natures mortes académiques. Cependant, le rapprochement s’arrête là car l’artiste, à la différence des peintres académiques, représente des natures mortes qui font partie de son quotidien. Il ne modifie pas les agencements ; Les Boutures sont peintes en vue plongeante, telles qu’elles se présentent à lui lorsqu’il les regarde. A la différence des peintres académiques, Gaston-Louis Roux souligne lui-même qu’il représente la réalité pour ce qu’elle est, il ne s’en sert pas comme d’ « un dictionnaire ».

A l’inverse des Trois statuettes, les objets ne sont plus suggérés, mais nettement détaillés : je pense aux pipes du Vase éthiopien ou à la corbeille des Boutures dont chaque brin d’osier est représenté. Ce changement peut être dû à la modification de la lumière. Nous avons souligné qu’après avoir été expropriée en 1970, la famille Roux est relogée dans un atelier d’artiste dont l’immense mur vitré qui ferme le logement laisse passer une lumière très vive. Ainsi, les objets sont détaillés par la lumière et leur reflet sur le bois se fait plus présent. La palette s’est réchauffée, les bois sont blonds, avec des reflets rouges et jaunes. La lumière, beaucoup plus crue que celle tamisée de la petite cour Impasse Ricaut, se traduit par un recours à la couleur blanche plutôt qu’aux nuances de gris.

Je souhaiterais également revenir sur le cadrage des tableaux de l’artiste. Comme je l’ai souligné, le peintre utilise toujours un angle de vue particulier. Pour Les Trois statuettes, la position de l’artiste a pu être déterminée par rapport à la vue qui était proposée, il en va de même pour Les Boutures où l’on devine que le peintre est assis. Le tableau intitulé La Patience, représente un meuble à tiroirs (où sont rangés les dessins) surmonté de pots emplis de pinceaux . Le cadrage choisi n’est pas frontal mais de biais et en légère plongée, tel qu’on aperçoit cet angle lorsque l’on se trouve au centre de la pièce (bien qu’ici le peintre se soit approché du coin). La résolution de représenter la réalité telle qu’il l’observe se traduit donc par le choix d’un cadrage qui restitue au mieux la vision des habitants de la maison. Cette volonté de s’approcher de la vérité nécessite une grande maîtrise technique de la part du peintre qui doit apprendre (ou réapprendre) les raccourcis et les effets de perspectives entre autres. Il est donc compréhensible qu’il fasse l’apologie de l’enseignement dispensé dans les académies au XVII et XVIII siècle .

Comme les nature mortes et les portraits des années soixante, les paysage conservent « une lumière de gris tendre, dense et légère à la fois » comme l’atteste la représentation du ciel et la tonalité générale d’un tableau intitulé Le petit chemin, La Noue. Cependant, on sent que l’artiste commence à égayer sa palette. Les couleurs gagnent en intensité et en vivacité bien que l’harmonie soit conservée. Le Jardin abandonné (huile sur toile de 54cm sur 73cm) est un exemple de l’emploi de couleurs plus saturées, comme ce vert très lumineux sur le feuillage et l’herbe. Le ciel reste gris mais les valeurs sont nettement plus marquées et la couleur plus vive. Par la suite, la palette continuera de se diversifier, laissant entrer le jaune (Le Puits, La Noue) et les rouges vifs (Le Jardin d’Yvette).

Le Jardin abandonné nous montre avec quelle vitalité le peintre brosse les herbes folles, dans le bas de la composition, mais aussi avec quelle attention il marque les détails. Une forte impression de mouvement, est conférée par les amples mouvements de pinceau qui savent également souligner minutieusement les branches ; de ce savant dosage résulte l’impression que « ces végétations tremblent sur le papier », pour reprendre l’expression de Jean-Jacques Lévêque au sujet des paysages exposés à la galerie Janine Hao en 1966. La mixité entre un feuillage suggéré et des détails d’une grande précision se retrouve dans Le Jardin d’Yvette, où un fin liseré sombre marque les contours d’un arbuste et les pousses des iris au premier plan. Cette technique permet de focaliser l’attention du spectateur sur quelques éléments précis, bien que ces derniers s’inscrivent à part entière dans la composition. Le même procédé sera utilisé dans bon nombre de tableaux, comme Le Petit pommier, où le peintre représente l’arbre comme si c’était une personne, sur le mode du portrait. L’œil du peintre est comme celui d’un photographe : il se focalise sur un élément, sur lequel il va porter tout la précision voulue, effet qui est renforcé par une faible profondeur de champs (un arrière-plan plus flou).

Le trait, particulièrement appuyé de l’arbre au premier plan peut également être une conséquence de l’attrait pour le dessin qui, pour l’artiste, est un des moyens les plus directs pour reproduire sa vision de la réalité . Dans son article sur Gaston-Louis Roux, Pierre- Georges Bruguière souligne la difficulté pour l’artiste de passer des dessins à la peinture, les premiers lui paraissant « plus vrais ».

Ce parti pris n’est pas, durant les années soixante, récurrent dans les tableaux de l’artiste. En effet, en observant Le Puits, La Noue, ou encore Le Bac à fleur on s’aperçoit que le peintre n’attire pas l’attention du spectateur sur un végétal en particulier. Toutes les plantes sont matérialisées par des traits assez épais et gestuels ; les fleurs, dont les pétales ne sont nullement différenciés, sont suggérées par des taches colorées, à l’inverse de l’arbuste du Jardin d’Yvette dont chaque feuille est soulignée d’un trait de couleur foncée.

Les paysages et les vues de jardin réalisés à l’huile dans les années suivantes montrent une mixité de ces deux procédés picturaux : le peintre utilise l’huile ou l’aquarelle auxquelles il adjoint de l’encre de chine pour travailler le détail. Ainsi, Chêne et garrigue de 1977, le peintre utilise la peinture à l’huile en couche épaisse pour définir la coloration et la forme générale de la composition. Ces empattements sont parfois rehaussés d’encre de chine pour souligner avec une extrême minutie les contours des arbustes, les branches, les feuillages et les reliefs de la pierre. Le même procédé est repris pour les aquarelles .

Lorsque le peintre se rend dans le Gard, à partir de 1970, la végétation, qui occupait déjà une place prépondérante dans sa production artistique se verra accorder une importante quasi-exclusive, comme en témoignent les catalogues d’exposition présentant ses œuvres récentes . Qu’elle soit façonnée par l’Homme (les jardins), ou à un état naturel (les paysages), la végétation lui apparaît comme la quintessence de la nature, dans laquelle la figure humaine a sa place si elle reste naturelle.

D’un point de vue formel, on peut noter que la découverte du Gard a une influence sur sa palette qui se modifie à nouveau. Nous avons montré que celle-ci commençait à s’éclaircir et tendait vers plus de saturation chromatique. Le Gard, où la lumière est parfois crue, favorisera une poursuite dans cette direction. Si l’on observe Chêne et garrigue ou Le Coup feu à Seynes, on s’aperçoit que les verts se chargent de jaune, les ombres sont bleutées ou rosées et le ciel, jusqu’à présent irrémédiablement gris s’ouvre au bleu. Les croquis réalisés par l’artiste montrent une plus grande liberté dans la couleur que les huiles sur toile. C’est le cas des dessins d’un petit carnet daté de 1981 où le peintre représente entre autres une maison devant laquelle pousse des roses trémière et autres fleurs. En utilisant l’encre, l’aquarelle et des rehauts de pastel, le peintre représente l’herbe par un vert acidulé, les fleurs sont matérialisées par des disques rouges ou roses et le crépi de la maison est orangé.

Un des derniers tableaux que l’artiste réalisa montre que la liberté chromatique des dessins s’est évadée du carnet pour rejoindre la toile. En effet, Les Grenadiers I, Seynes, dévoilent une gamme chromatique où les verts vifs des végétaux côtoient les ombres violettes, et où le jaune des arbustes se rappelle à celui des fleurs. La vivacité des coloris est servie par un traitement pictural gestuel et spontané. Les derniers tableaux de l’artiste sont tous habités de cette liberté chromatique et technique.

Après les expositions parisiennes, le peintre se fera connaître à Londres, où la galerie Théo Waddington en 1981 présente une série de dessins et aquarelles réalisés entre 1954 et 1981 puis à la galerie Stoppenbach & Delestre en 1982 pour une exposition de toiles peintes entre 1970 et 1982.

Les galeries où le peintre est exposé ne se destinent pas exclusivement à la promotion de l’art figuratif, bien au contraire, les expositions proposées dévoilent un large panel au sein duquel les avant-gardes ont une place majoritaire. Une question se pose alors : pourquoi ces galeries se sont-elles intéressées à la peinture de Roux ? Ils semblent que les galeristes ont été particulièrement touchés par l’émotion et l’impression d’intimité se dégageant des œuvres. Nous avons pu constater que les thématiques où l’artiste excelle, particulièrement les coins de jardins ou les portraits traités avec une fine psychologie relèvent un attrait pour la peinture elle-même, un combat permanent et une fidélité au médium. Gaston-Louis Roux n’est pas intéressé par l’art abstrait ou l’art conceptuel, la peinture et les problèmes qu’elle pose reste son principal cheval de bataille. Alberto Giacometti compare la démarche de Gaston-Louis Roux démarche aux peintres des siècles passés et met en évidence que l’artiste cherche à résoudre les mêmes problèmes que les maîtres du XVIIIème mais adaptés à la « sensibilité moderne ». Ces problèmes, comme le rendu d’un paysage, l’intimité d’un atelier ou la psychologie d’un portrait alliés aux moyens picturaux à la portée l’artiste (touche, dessin, gamme chromatique, clair/obscur, etc.…), sont en définitive inhérents au médium utilisé. Se plaçant dans la lignée des maîtres, utilisant les mêmes armes (pinceau et genre proche de l’académisme), Gaston-Louis Roux continue des recherches qui s’inscrivent dans une certaine tradition et propose ses propres solutions en fonction de son ressenti. Il en résulte « quelque chose de mystérieux et d’obsédant, ce silence de la nature, cette solitude des êtres et des choses, cette réalité du monde perçue comme au travers d’un voile de poésie diaphane. » Ses solutions et sa sensibilité singulière en font un peintre novateur dont la démarche peut intéresser des galeries proche de l’avant-garde.


L’importance du dessin

 

Pour Gaston-Louis Roux, le dessin fait partie intégrante du travail de l’artiste. Sous les compositions des années trente se cachent bien souvent des dessins préparatoires et les carnets de croquis ne sont pas restés vierges. En 1941, il réalise une série de dessins à la plumequi, à la différence des esquisses préparatoires citées précédemment, sont à envisager comme des œuvres à part entière. En effet « si la peinture amalgame et contient le dessin, ce dernier se suffit à lui-même. Espace clos, il est sa propre finalité. Son approche au scalpel, tranchante et téméraire, lacère l’intimité de la surface, fait saillir les vides, enchaîne les flux rectilignes, les brise et les reprend, les noue et les déploie, organisant de faux dérèglements, dont la synthèse engendre de perpétuelles naissances. Apparemment relâché ou architecturé, concentré ou délité, désinvolte ou grave, enclos dans sa tonalité ou aspirant à d’autres conquêtes, continuellement récupéré, ce mal-aimé toujours réinventé : c’est le dessin. » Longtemps considéré comme le parent pauvre de la peinture puis déprécié au XXème siècle, le dessin reste le lieu de toutes les expérimentations et un des moyens privilégiés pour transcrire spontanément une vision.

On comprend alors l’importance, l’essor et l’indépendance que pris l’Œuvre dessinée dans la production de Gaston-Louis Roux lorsque ce dernier commença à peindre sur le motif. Ce goût pour le dessin qui, peut-être plus qu’une propension, représente une véritable nécessité, le peintre le partage avec Giacometti. Dans un entretien avec Georges Charbonnier, en 1951, Giacometti prône l’importance du dessin : « il n’y a que le dessin qui compte. Il faut s’accrocher uniquement, exclusivement au dessin. Si on dominait un peu le dessin, tout le reste serait possible ». En effet, pour les deux artistes, saisir le réel, le faire surgir dans l’instant nécessite un travail continuel, ce qui se traduit concrètement par un nombre impressionnant de dessins. Selon Jean Clair, le dessin apparaît comme « le moyen modeste mais sûr de renouer fil à fil, trait à trait, le dialogue qui avait été rompu avec ses deux disciplines [le travail d’après nature et la reconquête patiente d’un métier] ». C’est en effet de cela qu’il s’agit : le peintre tente de retrouver une grammaire, des moyens formels, bref, un métier qui lui permettrait de traduire au mieux sa vision de la réalité.

En 1953, dans sa revue intitulée Cahiers d’Art, Christian Zervos consacre un numéro spécial à « La situation faite au dessin dans l’Art Contemporain » . Il placera en illustration un dessin à l’encre de chine sur papier intitulé Saint-Martin de Ré. Ce dessin, réalisé en 1951 montre un enchevêtrement de traits, de virgules, de zigzags dont l’ensemble, enserrant l’espace, révèle des formes. L’écriture est violente, saccadée, parfois rigide ou ondoyante, mais toujours comme « griffée » pour reprendre le titre d’une exposition , provoquant du mouvement et une impression de foisonnement, de « bruissement froufroutant » selon l’expression de Jacques Michel.

Comment définir la graphie de Gaston-Louis Roux ? Marie-Laure Bernadac écrit dans sa préface du catalogue d’exposition Du trait à la ligne que « la ligne appartient au domaine de l’esprit, du disegno, du projet, liée indissolublement à la figure, à la forme, qu’elle soit réaliste ou abstraite ; et le trait, purement graphique, au corps, à la main, à la trace, libérée des contraintes du motif et du modèle ». Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je pense que les dessins de Gaston-Louis Roux sont des combinaisons des attributs conjugués de la ligne et du trait car il s’en dégage une impression de construction, que l’on peut attribuer à la ligne mais aussi de spontanéité, de liberté qui ferait alors référence au trait.

Après avoir mis en valeur la raison de l’existence de ces dessins, puis certains aspects de la graphie employée par le peintre, poursuivons par les problèmes de composition (espace, lumière…) qu’ils sous-entendent en analysant les œuvres exposées à la Galerie Jeanne Hao.

En effet, en avril 1963 la galerie Jeanine Hao propose au peintre une exposition uniquement consacrée à ses aquarelles, ses gravures ainsi que ses dessins récents. La préface du catalogue d’exposition est signée du poète André du Bouchet (1924-2001). Elle reprend le texte que ce dernier avait réalisé pour un petit livre, L’avril, édité la même année que l’exposition précédemment citée, dont Gaston-Louis Roux avait conçu les illustrations (eaux-fortes). En poésie, la méthode d’André du Bouchet consiste à consigner des couleurs et des impressions dans des carnets de notes qui lui servent plus tard de matériaux pour créer des poèmes. Son Œuvre est perçue comme une esthétique « à la fois aride et exigeante tentant de faire coïncider l’expérience du réel et l’acte de langage ». Ainsi la collaboration entre les deux hommes ne nous surprend guère tant les modes d’élaboration de leurs œuvres sont proches. De plus, si le poète tente de faire correspondre une « expérience du réel » avec « un acte de langage », il me semble que c’est aussi la tâche à laquelle s’est assigné Gaston-Louis Roux, seul le moyen diffère : les mots pour l’un, le dessin pour l’autre. Les illustrations proposées par Gaston-Louis Roux s’harmonisent au style de l’écrivain et au thème du poème à savoir l’aspect éphémère et changeant de la nature. Les compositions épurées conviennent parfaitement à l’esthétique aride d’André du Bouchet. L’artiste utilise une ligne vive, fine, pure, qui semble fragile, à l’image des fleurs éphémères qu’il représente.

Telle qu’elle est présentée à la galerie, l’Œuvre dessinée de Gaston-Louis Roux a une existence propre indépendamment d’un quelconque projet de tableau : « il s’agit d’exercice de peinture, beaucoup plus que de tableaux à venir ». Le peintre insiste : « tout ce que je fais ce sont des études », « si ça devient un tableau à force de travail et de patience, tant mieux ». Ainsi, pour Gaston-Louis Roux comme pour Giacometti le dessin n’est nullement un travail préparatoire pour une future toile, il s’agit d’ études qui leur permettent, par un travail rigoureux et « scrupuleux », de trouver un accord entre leur « vision et la réalité ».

Si peu de dessins datant des années soixante sont actuellement visibles, nous pouvons néanmoins nous référer à quelques œuvres graphiques antérieures. Selon Pierre-Georges Bruguière, Gaston-Louis Roux, dès 1950, fait « usage de grands dessins en blanc et noir, au crayon ou le plus souvent à l’encre de chine avec parfois des localités posées au lavis. La valeur et la couleur sont données essentiellement par un rythme de division de la surface. » En effet dans des dessins tels Le Port de La Rochelle le peintre utilise un lavis pour matérialiser le premier plan et donner ainsi un effet de profondeur. Les valeurs sont rendues par des séries de hachures verticales qui accentuent l’effet d’amplitude conféré par les bâtiments et les mâts de bateaux. On peut également citer le Bois du Couzinet, (encre, gouache et pastel sur papier, 50cm x 65cm) de 1961. Ce sous-bois, près de La Noue, à l’Ile de Ré, fut dessiné à de nombreuses reprises par le peintre et donna lieu à une huile sur toile . Selon moi, l’intérêt de cet endroit réside dans les différences de contraste entre des zones très sombres et d’autres éclairées par la lumière filtrant entre les branches d’arbres. Ces forts contrastes permettent au peintre un jeu sur la gamme chromatique et la tonalité : la palette utilisée par l’artiste est composée de bleu, de vert, d’ocre, de brun que le peintre fonce plus ou moins. Comme dans les tableaux que nous avons évoqués précédemment, le peintre n’utilise pas de couleurs vives, seules sont tolérées les teintes proches de celles de la terre et de la végétation. L’espace tient également un rôle prépondérant dans cette composition. Le Bois du Couzinet permet un jeu sur les effets de profondeur, d’espace ouvert ou fermé. Ainsi, le fond du tableau est fermé par des troncs, des branchages et des broussailles alors qu’au centre est aménagée une sorte de clairière, un espace vide et circulaire, où le regard du spectateur est irrémédiablement attiré. Avant de se focaliser sur l’espace central, le regard du spectateur s’enfonce dans la forêt en zigzaguant entre les troncs, ces derniers permettant un subtil effet de profondeur.

L’exposition remporte un grand succès comme l’atteste la critique de Franck Elgar : « Des portraits, des arbres, des branchages, des fleurs, des halliers touffus, des pampres inclinés au dessus d’une porte[…] voilà les motifs des dessins à la plume ou au crayon et des aquarelles qu’expose ce peintre intègre, scrupuleux, très sensible, profondément sincère. Le sentiment de la nature est chez lui fort vif. Et il le traduit avec autant d’autorité que de discrétion. » Le critique ajoute : « on souhaite que Roux puisse bientôt montrer un ensemble de ses peintures. »

Le dessin, de même que l’aquarelle, sont des genres considérés comme mineurs et de ce fait, sont souvent relégués à la remise ou aux tiroirs. Pourtant, l’attachement de Gaston-Louis Roux à ces deux techniques favorisera leur mise en lumière puisque vingt ans après l’exposition de la galerie Janine Hao, son Œuvre dessinée et aquarellée sera montrée au public londonien. En effet, en 1981, la galerie Théo Waddington présente des dessins et aquarelles réalisés entre 1953 et 1981, ayant pour thème l’Ile de Ré, les environs de Seynes ou encore l’atelier.

Par la suite, en France la galerie Delestre présentera des aquarelles de l’artiste en 1986, conférant indépendance et estime à cette partie de la production de l’artiste. L’aquarelle, « peinture transparente » compte parmi les techniques les plus difficiles de la peinture car la moindre erreur n’est pas rectifiable. Une douce alchimie entre une grande sûreté du pinceau et un geste spontané permet à Gaston-Louis Roux de restituer la lumière, une atmosphère de quiétude, de légèreté et d’intimité qui transparaît dans les paysages de Seynes ou les jardins. A titre d’exemple, je citerai Le Pomélo (aquarelle, crayon et encre, 64,7cm x 49,5cm, 1980).


Le soutien des poètes

 

Tout au long de sa carrière, Gaston-Louis Roux, ami des poètes et des écrivains, fut soutenu par ses derniers. Que se soit par le truchement de préfaces d’expositions, d’articles dans la presse ou encore de collaborations aboutissant à la réalisation de livres illustrés, le peintre fut entouré de dramaturges, poètes et écrivains.

Parmi ceux qui écriront sur la production picturale Gaston-Louis Roux ou avec lesquels il collabora, je citerais de prime abord les écrivains rencontrés durant les années de jeunesse, les surréalistes dissidents, Vitrac, Limbour, Desnos ou encore Baron, que le peintre côtoyait aux réunions animées de la rue de Blomet. Il y eut aussi l’allemand Carl Einstein, rencontré par le biais de Kahnweiler, dont Gaston-Louis Roux illustre le premier ouvrage paru en France ou encore les critiques d’origine grec E. Tériade et Christian Zervos.

Vitrac le premier publia dans diverses revues artistiques, nous l’avons vu, des articles mettant en évidence l’originalité et le caractère moderne de la peinture de Roux. Leur complicité est totale ; par conséquent, les articles et la préface de catalogue d’exposition du dramaturge éclairent brillamment l’œuvre du peintre .

Par la suite, Georges Bataille (1897-1962), qui réalisa de nombreux articles sur l’œuvre de Masson avec lequel il était lié par de profondes affinités, se chargea de rédiger la préface de la dernière exposition personnelle de Gaston-Louis Roux . Avec un style très personnel, fait d’oppositions et volontiers apocalyptique, selon son habitude, Bataille met en évidence le trouble, voire le malaise, qui habite Roux. Comme le fait très justement remarquer Patrick Waldberg dans son article consacré à Gaston-Louis Roux, « il fallait à Gorges Bataille une intuition peu commune et une belle affection pour la personne du peintre pour comprendre et décrire, comme il l’a fait dans sa préface de l’exposition Roux de 1947, le désarroi profond dont il est secrètement la proie. »

Les deux écrivains ne publieront pas d’articles concernant la période figurative de Roux. Vitrac n’en aura pas le temps, puisqu’il décédera en 1952 quant à Bataille, la préface du catalogue de 1947 est le seul écrit qu’il aura réalisé sur la production de Roux alors que les deux hommes se connaissaient depuis des années. Bataille, philosophe et poète était particulièrement sensible aux émotions violentes et torturées dont la peinture est parfois le témoin privilégié. En ce sens, ses articles portent sur une peinture empreinte d’érotisme et/ou de violence, comme c’est le cas pour les œuvres de Masson, ou encore de trouble, de malaise profond comme il le décèla dans l’ouvre de Roux. Ainsi, on peut comprendre que la décision de l’artiste de se diriger vers une « peinture paisible », selon l’expression de Jean-Jacques Lévêque, où l’esprit et la main du peintre se veulent en harmonie avec la nature, ne pouvait être source d’intérêt pour Bataille (seule la souffrance et la lutte précédant cette décision l’ont interpellé). Cependant, ce dernier restera proche de l’artiste et commentera de façon informelle certaines de ses œuvres, en particulier les portraits dont il était admiratif.

Deux écrivains et poètes appartenant également à la branche dissidente du mouvement surréaliste firent l’exact contraire de leurs camarades. En effet, Jacques Baron (1905-1986) et Georges Limbour (1900-1970), dont Gaston-Louis Roux avait fait la connaissance rue Blomet, chez Masson, n’ont pas produit d’article sur l’artiste durant ses années de contrat chez Kahnweiler ; cependant, le retour du peintre à une peinture figurative et d’après nature marque pour eux l’occasion d’offrir leur soutien à leur ami et de prendre position contre l’art moderne qui selon Christian Limousin « les déçoit ou leur échappe ».

En lisant la préface rédigée par Jacques Baron pour le catalogue de l’exposition Gaston-Louis Roux, d’une époque à l’autre, en 1983, on a l’impression que l’écrivain règle une vieille dette d’amitié : « j’aime plusieurs peintres qui sont mes amis et je choisis, parmi eux, en cet instant, mon vieux copain Gaston-Louis Roux, celui qui fait ce qu’il doit faire, loin des rumeurs de la ville ».

En 1968, il réalise un article conséquent dans la revue Preuves, qu’il intitule « Gaston-Louis Roux le naturel ». Ces quelques pages lui permettent de mettre en évidence le geste courageux du peintre, « qui prend ses responsabilités d’artiste » et s’attache à « reconnaître son terrain et s’enraciner pour attraper au vol ce qui remue dans la lumière (chair, végétal, minéral) et le rendre à l’esprit qui, depuis longtemps, a perdu le goût des nourritures terrestres ». Il approuve le retour de l’artiste vers la nature et consacre la manière qu’emploie celui-ci pour la représenter ayant « retrouvé l’art de peindre dans sa simplicité et ses exigences artisanales d’où se dégage la touche spirituelle. » L’aspect de la production artistique qui marquera le plus l’écrivain est probablement le portrait. Il rédige en 1971, dans La Quinzaine Littéraire un article à ce propos. Selon lui, le peintre « renouvelle l’art du portrait », il est « attentif à ne rien laisser perdre de la respiration de l’âme à travers la peau de son modèle ».

Aux travers des différents écrits sur Gaston-Louis Roux, Baron se permet d’égratigner quelque peu certaines directions prises par l’art contemporain : « la plupart des artistes subissaient le contrecoup d’une sorte de guerre des nerfs qui avait débutée un demi-siècle auparavant et ne cessait d’opposer la représentation des choses à leur signification, le lyrisme à la structure formelle, le composé au décomposé, et ainsi de suite de théories en théorie. Sans doute l’esprit libertaire qui régnait entre les deux guerres, les théories avaient fait long feu, mais les maniérismes dominaient le goût. L’art était une tour de Babel, ses ouvriers sont aujourd’hui dispersés mais gardent les tics, les habitudes anciennes de jouer des pieds et des mains sous prétexte de renouveler sans cesse ce qui a été déjà renouvelé cent fois ». Selon lui, « l’art d’aujourd’hui, abreuvé de discours, va dans tout les sens » et Gaston-Louis Roux Roux représente une alternative car il « se place sur une autre longueur d’onde », « refuse les artifices » et oblige son esprit, selon les préceptes de Leonard de Vinci, « à se mettre à la place de l’esprit même de la nature, et à faire l’interprète entre la nature et lui. » Dans un article de 1971, il met en relation la peinture de Roux et les enseignements d’un peintre chinois du Vème siècle, selon lesquels l’art de peindre équivaut à « refléter le souffle vital, rechercher l’ossature, représenter les objets, respecter le sujet, établir le dessin, perpétuer la tradition ». Comme le souligne à juste titre Christian Limousin, nous sommes loin de l’aspect novateur, proche de l’esprit moderne si cher à Rimbaud, que Vitrac avait hissé sur un piédestal et dont il trouvait le reflet dans la peinture de Roux.

Comme Jacques Baron, Georges Limbour pense que la peinture de Roux a sa place dans l’art actuel. D’une part, elle est « non déplacée en notre époque mais y trouv[e] au contraire sa nouveauté », et elle met « dans l’embarras » et trouble « les esprits qui avaient déclaré la guerre à la tradition et pensent généralement que l’art commence où finit le réalisme ». Selon lui, à l’inverse des mouvements modernes, la peinture de Roux est « une peinture sur laquelle il n’y a pas à disserter, à divaguer et extravaguer », seuls le regard et l’émotion ressentie ont une importance. Face à l’œuvre de Roux d’une « grande dignité qui nous impose le silence », le rôle de l’écrivain se limite à commenter « ce que le regard à rencontré». Selon Christian Limousin, le rêve du poète est de « rencontrer une peinture, enfin, purement optique, susceptible de se passer entièrement des mots, qui permettrait au poète de se réfugier dans un silence contemplatif ». En ce sens il n’est pas contradictoire que Georges Limbour ait pu proposer des articles ayant pour thème l’art brut de Dubuffet (en 1953) ou la peinture figurative et d’après nature de Roux.

Trois autres écrivains, Yves Bonnefoy, Gaetan Picon et André du Bouchet, s’intéresseront également à l’Œuvre figurative de Gaston-Louis Roux.

Ces trois personnalités sont présentées ensemble car leurs parcours artistique et idéologiques les rapprochent les uns des autres. En effet, les trois poètes s’inscrivent dans la mouvance du Mercure de France dont Gaétan Picon sera le dernier directeur avant la disparition de la revue en 1965. Si la revue disparaît, le nom persiste puisque Mercure de France devient une maison d’édition. Y seront publiés de nombreux poètes dont Yves Bonnefoy, Louis-René des Forêts ou encore Georges Bataille.

La fin du tirage de la revue marque la création d’une autre. En effet, la communion de pensée qui unit Gaétan Picon, Yves Bonnefoy et André du Bouchet les amène à collaborer, entre 1966 et 1972, à la revue l’Ephémère, aux cotés de Louis-René des Forêts et Jacques Dupin.

En ce qui concerne le domaine artistique, les écrivains cités précédemment affichent une admiration pour la production plastique d’Alberto Giacometti . Ils partagent avec l’artiste la même appréhension du sensible. Par conséquent, on comprend pourquoi les trois hommes se sont intéressés à la production artistique de Gaston-Louis Roux qui, non seulement apparaît à cette époque comme un proche de Giacometti, mais partage en plus sa propension vers un art rigoureux, au plus près de la réalité, bien que les moyens picturaux utilisés pour traduire leur vision de la nature soient sensiblement différents.

Entre 1963 et 1968, chacun des écrivains cités réalise la préface d’une exposition personnelle de l’artiste. La primauté est accordée au poète André du Bouchet (1924-2001) qui collabore avec l’artiste à la réalisation du petit ouvrage, l’Avril, dont les illustrations sont signées Gaston-Louis Roux. En traitant de l’importance du dessin dans l’Œuvre de Gaston-Louis Roux, nous avons montré la similitude qui existe entre le texte traitant de l’aspect éphémère des choses et les dessins qui, par un trait fin et hésitant, mettent en évidence la fragilité de la nature qui aussitôt fleurie, dépérit . La préface de l’exposition Aquarelle, gravures et dessins récents qui se tient en 1963 à la galerie Janine Hao, reprend en intégralité le texte de l’Avril.

En 1964, puis en 1966, Yves BonneFoy préface les catalogues de deux expositions Gaston-Louis Roux, la première se tenant à la Galerie Jeanne Castel, la seconde à la Galerie Janine Hao. Le poète, mais aussi critique d’art spécialiste du Quattrocento et du Baroque, avoue prendre du « plaisir à voir quelques peintres de notre temps, orienté par cette présence errante qui transfigure l’objet, comprendre que le vrai langage, c’est la réalité elle-même, dans ses situations faites chiffre, et non ces mots, techniques ou style qui n’en sont jamais qu’une part. » D’un accès difficile, les poèmes d’Yves Bonnefoy sont tournés vers une relation au monde dans lequel les mots participent pleinement. Ainsi, par une grande économie de moyens rhétoriques, le poète tente de redonner au langage la vérité de sa relation au monde. Par conséquent, il retrouve en Gaston-Louis Roux un véritable alter ego qui ne représente pas le monde avec un code quelconque ; la peinture Roux ne se déchiffre pas, elle ne « représente pas au lieu d’être », elle est pleinement et entièrement réalité. La sensibilité de l’artiste, allié à une certaine clarté picturale, confère à sa peinture un rapport avec la réalité qui apparaît au poète comme spontané : « Entre sa toile et son atelier, ou le pays alentours, les échanges sont naturels ; êtres et choses qui lui sont proches se retrouvent vite peinture […] les choses se donnent avec confiance à ce peintre qui a compris leur désir de transparence et de pureté. » Cette hypothèse d’un lien métaphysique, pur et spontané entre la manière de peindre de l’artiste (très sobre) et le monde sera reprise et développée deux ans plus tard pour la préface de l’exposition du peintre à Galerie Janine Hao : « GASTON--LOUIS ROUX cette année : jamais il ne s’est tant approché de cette transparence à soi-même où tout ce que l’on sent, tout ce que l’on a compris ou choisi, tout ce que l’on a aimé ou été peut ne faire soudain qu’un seul cristal aux nombreux rayons, notre présence au monde enfin pure. »

Dans ces quelques lignes, nous avons évoqué ce que la peinture de Roux inspirait aux poètes, les liens amicaux et une idéologie commune unissant l’artiste et les écrivains mais aussi les poètes entre eux. Bref, la peinture de Roux, quelle que soit la période (jeunesse ou maturité), a trouvé, auprès des écrivains, non seulement des critiques positives, mais surtout un véritable écho au sein même d’une partie de la poésie contemporaine.

Les poètes n’ont bien sûr pas été les seuls à produire des écrits sur l’artiste. Tout au long de cette étude, je me suis référée aux articles de nombreux critiques d’art, plus ou moins proches de Gaston-Louis Roux. Parmi eux, je citerai Patrick Waldberg, personnage assez excentrique, qui selon la famille de l’artiste se rendait souvent à leur appartement, Pierre-Georges Bruguière, amateur et critique d’art, dont nous aurons l’occasion de reparler, qui intervint surtout à partir des années 1970. Viennent ensuite les critiques d’art comme E. Tériade, Frank Elgar ou Jean Jacques Lévêque, qui seront particulièrement prolifiques, intervenant chacun sur une période de la production de l’artiste. A l’étranger, il fut popularisé par le critique anglais John Ashberry.

Viennent ensuite les historiens d’art spécialistes du XXème siècle comme le catalan Josep Casamartina i Parassols ou Gladys Fabre. Cette dernière a produit des écrits se rapportant essentiellement au cubisme, au surréalisme ou à la première moitié du XXème siècle. Pour ne citer qu’une de ses productions intellectuelles, je mentionne une monographie sur Tutundjian , qui a pour particularité d’analyser la production plastique d’un peintre qui comme Gaston-Louis Roux fut très influencé par le Surréalisme et a disparu de l’Histoire de l’Art (cette monographie étant la première à son sujet). Les universitaires, comme Christian Limousin, qui s’intéresse particulièrement aux relations entre écriture et peinture contemporaines, ou Dominique Lecoq docteur ès lettres spécialiste de Bataille, proposeront chacun un article traitant d’un aspect spécifique de l’art ou la vie de Roux.


Les expositions collectives :
Comment se placer par rapport à l’art contemporain ?
 

 

Nous avons déjà souligné qu’en 1956, Gaston-Louis Roux avait fait remarquer à Kahnweiler le problème posé par l’accrochage de ses toiles au milieu de celles des autres artistes de la galerie (Masson, Roger, Beaudin, ou encore de Kermadec). Plus largement, l’antagonisme iconographique et formel entre la peinture sur le motif et figurative de Roux et celle de peintres dans la mouvance « moderne » pose la question de la place de l’artiste dans l’art contemporain.

Cet intérêt pour une voie différente de celle de l’avant-garde pousse le peintre à se diriger vers d’autres galeries, comme nous l’avons vu précédemment, où l’art figuratif de type traditionnel, s’il comporte des qualités plastiques formelles et émotionnelles évidentes, est valorisé au même titre que d’autres œuvres d’après nature ou abstraites.

Cependant, ce sont probablement les expositions collectives qui révèlent de façon flagrante la place qui est accordée à l’œuvre de Roux au sein de la scène artistique. Elles permettent de constater où (galeries d’avant-garde, musées, etc.) et aux cotés de qui le peintre est présenté et par conséquent, comment ce dernier est perçu par la critique, le public et l’Histoire de l’Art.

Contrairement à l’analyse des expositions personnelles de l’artiste, l’ordre chronologique n’a pas été retenu car le but n’est pas de montrer un cheminement formel et intellectuel de l’artiste, mais quelles sont la ou les places qui lui sont décernées. Par conséquent, des regroupements ont été effectués en fonction des partis pris par les organisateurs des expositions. Ainsi, ont été séparées les expositions réalisées aux cotés des artistes de la galerie Kahnweiler, les manifestations mettant en évidence des artistes dont les recherches sont orientées dans une même direction, les expositions thématiques et enfin celles qui sont rétrospectives .

Commençons par les expositions collectives réalisées sous l’égide de Kahnweiler. En effet, le peintre commence par être exposé à The Leicaster Galleries à Londres en 1953. Si je n’ai pas été en mesure de trouver les œuvres présentées lors de cette exposition, je suppose que ce sont les peintures réalisées après 1949 qui sont dévoilées au public londonien. Cette affirmation se base sur l’article de Nevile Wallis selon lequel « bien qu’il soit peut-être retombé dans l’élégance, Gaston-Louis Roux scrute la nature plus étroitement que Kermadec, avec sa calligraphie habile et ses formes exiguës ». Or seules les peintures réalisées après 1949/1950 attestent de cette proximité de la nature qui est appréhendée par le truchement du mode figuratif que Wallis doit trouver d’un charme désuet puisqu’il qualifie le choix de Roux de retour à l’élégance. De plus, dans son catalogue d’exposition de 1983 consacrée à Gaston-Louis Roux, l’Association Billom-Bataille présente, en guise d’illustration, une reproduction du Petit Géranium (huile sur toile datée de 1960) et précise que cette œuvre appartient aux Leicaster Galleries . En analysant la plaquette de la galerie concernant l’exposition « Paintings from France », on s’aperçoit que les autres peintres représentés lors de cette exposition sont, en partie, ceux que sont (en 1953) ou ont été sous contrat avec la galerie Louise Leiris. Il semble donc envisageable qui ce soit la galerie Louise Leiris qui ait prêté les œuvres à la galerie londonienne.

Il est fort probable que la même façon de procéder ait été conservée l’année suivante pour l’exposition intitulée « Maler in Franhreich » qui regroupe Beaudin, Gilot, Lascaux, Masson, Roger, Rouvre, Roux au sein de la Galerie Alex Vömel à Dusseldorf.

Par conséquent un constat s’impose : bien que l’artiste et son marchand ne soient plus en accord sur le cheminement artistique du peintre, Kahnweiler continue de promouvoir l’artiste (du moins jusqu’en 1956), au sein de sa galerie d’une part, puisqu’il continue d’accrocher ses toiles aux murs, mais aussi à l’étranger aux cotés des autres artistes de la galerie. Si Kahnweiler ne lui organise pas d’exposition personnelle, le peintre n’est pas mis en marge du groupe d’artistes de la Galerie Louise Leiris.

En 1954 , quelques œuvres de Gaston-Louis Roux seront exposées à la galerie Charpentier, à Paris. Cette initiative sera renouvelée en 1955 sous le titre « exposition de l’Ecole de Paris ». Le directeur de la galerie, l’architecte-décorateur Raymond Nacenta, organisa une série d’expositions dont le but était de mettre en valeur un panorama artistique de la production parisienne du moment. Le terme d’« Ecole de Paris » est devenu flou de part son utilisation intensive et intempestive, qualifiant toutes sortes de styles sur une période indéfinie. J’abonde donc dans le sens de Lydia Harambourg qui écrit que la manifestation de la galerie Charpentier est une sorte de petit Salon où se mélange une production artistique variée destinée à montrer que Paris peut conserver son titre de capitale des Arts (que certains pensent mieux adapté à New-York). La place des œuvres de Roux est légitimée dans cette exposition car non seulement elle propose une alternative à la modernité telle qu’elle est proposée à cette époque (tournée vers l’abstraction) et illustre l’une des facettes de la production parisienne des années cinquante qui fut longtemps mise de côté par les historiens de l’art. En effet, selon Bernard Ceysson , « le retour en force, si l’on ose dire, des réalismes, vers 1947, constitue un fait historique plus important qu’on ne le croit et qui ne relève en aucun cas d’une simple saisie formelle ou d’une banale appréciation subjective. […] Le retour ou le « recours » réaliste couvre tous les champs idéologiques. Il suffit pour s’en convaincre de consulter hebdomadaires et revues. Les recensions des expositions dans les galeries, les comptes rendus des divers salons, Salon d’Automne, Salon des indépendant, Salon des peintres témoins de leur temps, témoignent de la large place faite alors aux figurations se réclamant de Bonnard ou de Courbet. » Gaston-Louis Roux, bien qu’il ne se situe pas directement, nous l’avons vu, aux côtés des réalistes ou des peintres figuratifs, est l’héritier de cette mouvance d’après guerre. Cependant, l’originalité de l’alternative proposée par Roux lui vaut une place aux cotés des peintres représentatifs de l’Ecole de Paris telle que nous avons tenté de la définir.

En 1956, le retrait de l’appui de Kahnweiler marque le début de profonds changements quant à la situation de l’artiste sur la scène artistique. En effet, Gaston-Louis Roux ayant remarqué l’antagonisme entre le style qu’il propose désormais et celui des autres artistes de la galerie allié au trouble du marchand à son égard, décide mettre un terme à leur collaboration. Jacques Dupin a écrit, à propos de Giacometti : « il se plante devant le modèle, il travaille sur le motif et il copie, comme personne aujourd’hui n’ose le faire. Son attitude est en contradiction absolue avec toutes les tendances et toutes les recherches de l’époque et les théories qui les justifient. Il est le seul dans son siècle et contre tous, cramponné à son idée fixe, malgré lui, en travers du courant, il s’oppose à tous et personne ne s’indigne de cette conduite intransigeante et insolente ». Ces quelques lignes, Jean-Jacques Lévêque les reprend au sujet de Gaston-Louis Roux tant la démarche des deux artistes lui semble similaire. En effet, les critiques sont unanimes : la décision de l’artiste de ne peindre que d’après nature et selon un mode figuratif est une démarche singulière, en travers ou à contre-courant , « une insouciante audace », « une provocation unanime ».

Selon Jacques Michel, critique d’art dans le journal Le Monde, « l’évolution de Roux va à contre-courant », expression qui fut utilisée la même année par Giacometti et qui sera reprise, une dizaine d’année plus tard au micro d’un journaliste de France Culture . Jean-Marie Dunoyer partage aussi cette idée et souligne : « sans doute lui a-t-il fallu tant d’expérience, sans doute a-t-il dû céder au vertige des écoles en rupture de ban, pour revenir plein d’usage et raison à la sagesse traditionnelle ». Allant dans la même direction que ses confrères, Jean-Jacques Lévêque affirme que la peinture de Gaston-Louis Roux « est à contre-courant de tout ». Il ajoute qu’ « une grande partie de l’art actuel, qui est un art de témoignage, de colère, d’invective, est un art finalement qui montre l’aspect tragique du monde » alors que le style de Roux est « paisible », semblant refléter « une vie de quiétude et de silence ».

En se libérant du fardeau que représentait le devoir d’« être absolument moderne » pour reprendre la phrase de Rimbaud usitée par Vitrac, délivré de l’appartenance à Kahnweiler, le peintre entame une nouvelle carrière. Il faut alors tout recommencer, d’un point de vue stylistique et social. Après 1955 le peintre affronte une période d’attente, de passage à vide, nécessaire peut-être, mais véritablement pesante pour un artiste qui, sûr de son choix, a besoin de trouver de nouveaux moyens picturaux et de nouveaux appuis. Epaulé par Hélion, Giacometti et Pierre Georges Bruguière, le peintre noue de nouvelles relations et nous l’avons vu, est exposé en 1962 par le couple Zervos, à la galerie des Cahiers d’Art. S’en suit une longue série d’expositions personnelles dans des galeries où de l’art figuratif de facture traditionnelle peut avoir sa place au même titre que l’art abstrait.

En 1964, il participe à une exposition qui sera dévoilée à la galerie Jeanne Castel avant d’être transférée au Musée de Nancy. Cette manifestation, intitulée « Présence du Visible » regroupe Bacon, Borès, Chastel, Crémonini, Duffour, Gruber, Giacometti, Hartmann, d’Hauterives, Hélion, Lambert-Loubère, Lapicque, Leroy, Montandon, Reyberolle, Roux, Schauer, Tal Coat, Vilato, Woolfenden. A propos de cette exposition, Jean-Jacques Lévêque réalise, dans l’Information du 11 janvier 1964, un article mettant en évidence le lien unissant les artistes présents, à savoir la figuration. En effet, le parti pris de Manuel Rainoirds, organisateur de cet événement, était de regrouper des peintres à tendance figurative tout en montrant la diversité de ce style. Pour le journaliste, « il s’agit là d’un regroupement des forces vives d’un art dont les attaches avec la réalité ne sont pas conventionnelles mais profondément marquées par un certain nombre de problèmes. » En effet, le lien logique entre les artistes la représentation d’une réalité et le refus de l’abstraction mais leurs démarches, leurs recherches et leur utilisation de la figuration ne sont nullement similaires. L’exposition « Présence du visible» met en évidence la nouvelle place attribuée à l’artiste : désormais il expose aux cotés de peintres, certes figuratifs, mais non moins modernes. Si certains ont été oubliés ou sont peu connu, Giacometti, Tal Coat, Hélion ou Francis Bacon restent des figures incontournables de l’art du XXème siècle et la présence de Gaston-Louis Roux à leurs cotés me semble significative, comme elle le fut lors de l’exposition «Poésie», à Prague, en 1932, aux cotés des surréalistes.

Ce groupe informel de peintres figuratifs, dont la variété des styles remet une fois encore en perspective la réalité que recouvre le terme figuratif, pose le problème de l’anachronisme. Il en va de même pour l’exposition, « La rue de Bourgogne, Dix peintres, un sculpteur » qui eut lieu au Musée Carnavalet où Gaston-Louis Roux fut représenté par plus d’une vingtaine d’œuvres au milieu d’une ensemble de peintures et sculptures d’après nature. Bien que cette exposition fasse l’objet d’une mise en contexte dans la partie qui suit, je tiens à montrer la place qui est accordée non pas uniquement à Roux mais aux artistes à tendance figurative dans l’art contemporain. En effet, jusqu’à présent, nous nous sommes arrêtés à la singularité de la démarche de Roux, il faut à présent concevoir cette propension au travail d’après nature selon un mode figuratif plus ou moins traditionnel, à l’échelle d’un groupe, non pas informel (comme ce fut le cas pour l’exposition « Présence du Visible » ou certains peintres ne se connaissaient pas) mais constitué en association. Comme l’exposition « Présence du Visible », celle du musée Carnavalet institutionnalise la démarche de ces artsites. Cependant, il est intéressant de noter que le Musée Carnavalet n’est pas à proprement parler un musée d’art ; il s’agit du musée historique de la ville de Paris, qui par conséquent organise le plus souvent des expositions thématiques sur un aspect de la ville. La symbolique du lieu me parait encore une fois significative : l’association des artistes de la rue de Bourgogne n’est pas exposée au Musée d’art moderne mais dans un musée historique, par conséquent, non pas uniquement pour ses qualités plastiques ou son ancrage dans l’Histoire de l’Art mais parce qu’elle illustre « le bouillonnement de la pensée » de la ville de Paris, les réunions « où le processus de création s’est déroulé dans une certaine communauté d’idéal et dans un fructueux climat d’amitié ». Dans sa préface, dont les quelques lignes précédentes sont extraites, Bernard de Montgolifier situe les réunions de La rue de Bourgogne dans la lignée des rendez-vous du « cabaret A la pomme de pin des écrivains du siècle de Louis XIV » du « salon de M.Geoffrin » où encore les regroupements au « Café Guerbois cher aux peintres impressionnistes ». Certes l’exposition du Musée Carnavalet offre, aux artistes de l’association une reconnaissance institutionnelle, mais qui n’est peut-être pas celle qu’ils attendaient. Elle ancre l’association dans l’Histoire, mais non dans l’Histoire de l’Art. L’association est perçue comme le foyer d’une émulation intellectuelle au détriment de la mise en valeur de la qualité plastique des œuvres. Pierre-Georges Bruguière remarque à juste titre que « ceux qui désiraient cette exposition étaient bien loin de penser à l’anachronisme qu’elle pouvait représenter. En effet, l’art, depuis le début de ce siècle, avait divorcé d’avec la nature pour trouver en lui un nouvel objet. Pour ces dix artistes, au contraire, l’objet de l’art est la nature, c’est-à-dire ce qui touche à la vie et aux objets qui nous entourent et forment notre univers ». Ainsi, de façon plus large, cette exposition pose le problème de l’intérêt porté par les musées sur l’art d’après nature, qui nous l’avons vu avec l’exposition « Présence du visible » peut prétendre figurer au sein d’un musée des Beaux-Arts, mais aussi de la place controversée qu’occupe cette tendance dans l’art comtemporain.

Les critiques eux-mêmes réalisent parfois des expositions collectives fictives en regroupant sous un même titre une série d’expositions personnelles dont les styles des artistes leur semblent proches. C’est le cas par exemple de l’article de Jean-Marie Dunoyer, « d’après nature » qui parut dans Le Monde en 1978, où le journaliste présente Gaston-Louis Roux au côté du sculpteur Jules Dalou, du créateur de tapisserie Nicolas Abdallah Mouffarège, du peintre Serge Poujon et enfin de Denise Esteban et Gil Jouanard. Leur seul point commun est un recours à une peinture plus ou moins figurative.

L’institutionnalisation de l’Œuvre de Gaston-Louis Roux se poursuit par une série d’expositions thématiques dans des musées ainsi que dans des galeries.

Ainsi en 1967 le peintre est exposé à la galerie Claude Bernard qui organise une manifestation sur le thème du « portrait ». Un grand nombre d’artistes y sont représentés, toutes tendances stylistiques confondues. Le même parti pris est adopté par le Musée Georges Borias, situé à Uzès dans le Gard, non loin de la maison où la famille Roux passe ses vacances, qui réalise en 1990 une exposition sur le thème « Le Syndrome du compotier » (Trois œuvres de Roux sont exposées ). Sept ans plus tard, le Musée Tavet-Delcour de Pontoise expose à son tour l’artiste dans le cadre d’une exposition présentant des « Natures Mortes du XXème siècle » (seule la toile Les Boutures y sera présentée ).

Christophe Duvivier, conservateur du Musée Tavet-Delcour de Pontoise, précise avoir choisi ce thème car « la nature morte est pour nombre d’artistes du XXème siècle le lieu de recommencements, le moment où le peintre dans la solitude de l’atelier […] s’interroge sur les moyens propres de son art. […] Les artistes présentés ont donc été choisis non parce qu’ils seraient des « spécialistes » de la nature morte mais parce que leur art se fortifie dans la pratique de cet exercice à des moments essentiels de leur évolution. » Cette citation correspond parfaitement à la situation de Gaston-Louis Roux et tend à montrer que la réflexion (sur la composition, les moyens plastiques à sa disposition…) entourant les œuvres qu’il propose n’est pas totalement éloignée des préoccupations des artistes de son temps.

L’aspect thématique est également privilégié par l’Association pour la promotion des Arts qui organise à l’Hôtel de ville de Paris une exposition présentant des œuvres ayant pour sujet la Capitale. Gaston-Louis Roux y est représenté par le truchement de la toile intitulée Le Marronnier II.

Ces expositions thématiques permettent de confronter des peintres ayant une approche du sujet et des tendances formelles, sinon divergentes, du moins éloignées. Les œuvres de Roux y apparaissent probablement moins anachroniques (par rapport aux autres œuvres et non à l’Histoire de l’Art) que lors d’une exposition se voulant représentative d’une époque (moderne, cela va sans dire) et d’un certain milieu comme ce fut le cas lors de celles réunissant les artistes de la galerie Kahnweiler.

Certaines manifestations, comme l’exposition du Musée Delchette de Roanne qui, en 1967, salue l’entrée de cinq artistes dans son fond contemporain , ou celle du Centre Georges Pompidou qui fut réalisée en 1984 à l’occasion de la donation de la collection du couple Leiris, ne nous renseignent pas sur le statut accordé aujourd’hui à Gaston-Louis Roux dans l’art contemporain puisque les œuvres de ce dernier (La chute d’Icare) en ce qui concerne le Centre Georges Pompidou) sont dans le premier cas, décontextualisées, dans le second, relatives à une période passée où le problème de l’anachronisme ne se posait pas. Cependant, ces deux expositions permettent de mettre en évidence que si Gaston-Louis Roux, comme nous l’avons vu précédemment, est exposé dans les musées, français et étrangers, il est également acheté par l’Etat.

De la même manière, l’exposition du Kunstmuseum de Düsseldorf qui présente, en 1994, une partie de « la collection de Kahnweiler, de Gris, Braque, Léger et Klee jusqu’à Picasso » ou celle qui eut lieu à Eymoutiers, en 1997, ayant pour thème le milieu artistique gravitant autour de Kahnweiler et Leiris (repliés avec leur famille pendant une partie de la seconde guerre mondiale à Repaire l’Abbaye, non loin d’Eymoutiers) mettent en évidence une période chronologique relative au marchand d’art. Ainsi, durant ces deux manifestations rétrospectives, une seule œuvre de Roux fut montrée : il s’agit de La Chute d’Icare, toile probablement jugée par les commissaires d’expositions, sinon paradigmatique, du moins emblématique de la production de l’artiste.

Un dernier fait, qui selon moi peut être significatif, est la participation du peintre, en tant qu’invité, au Prix Marzotto qui eut lieu à Pragues en 1968. Reconnu comme étant un artiste important, le peintre se voit accorder une importante biographie dans le catalogue du Prix et la publication d’un texte de son cru concernant sa position dans l’art contemporain en 1968.

Pour conclure, comment peut-on situer la démarche de Gaston-Louis Roux dans l’art contemporain ? Nous avons vu que sa place n’est pas aux côtés des artistes proches de Kahnweiler. Bien que l’art figuratif d’après nature prôné par Roux et les toiles des artistes « modernes » de Kahnweiler se soient retrouvées un temps sur les mêmes murs, peut-être par devoir ou loyauté du marchand envers son artiste, les directions prises sont trop différentes pour imaginer un fil conducteur entre elles. La place occupée par l’artiste dans l’exposition l’Ecole de Paris, ne doit pas être survalorisée.

Certes, Gaston-Louis Roux est représenté dans une exposition dont le but de l’organisateur est de montrer la richesse et le potentiel de la ville de Paris sur le plan artistique. Cependant, ne perdons pas de vue que le terme d’Ecole de Paris, choisi par l’organisateur est particulièrement flou. Par conséquent, le statut accordé aux artistes présentés lors de cette exposition est tout à fait relatif et ne doit nullement être pris pour référence. Il ne s’agit pas d’un classement des peintres les plus représentatifs des années cinquante mais uniquement le résultat d’un choix opéré par Raymond Nacenta. Le seul fait concret demeure que Gaston-Louis Roux ait fait partie de ce choix. Dans ce cadre, l’œuvre de Roux n’est pas perçue comme anachronique mais représentative d’une alternative au diktat d’une certaine conception de la modernité.

Par la suite, Gaston-Louis Roux se rapproche et est rapproché (par les musées, les galeries, les critiques) d’artistes ayant une vision semblable à la sienne quant au devenir de l’art. Les expositions mettant en scènes ces artistes et groupes d’artistes ne singularisent plus Gaston-Louis Roux comme ce fut le cas lors des manifestations artistiques précédentes. Au contraire, son Œuvre n’est plus perçue comme une curiosité au charme désuet et l’approche du sujet ainsi que les qualités plastiques des toiles peuvent être appréciées. Cependant, le spectateur n’est pas dupe : l’alternative montrée par ce groupe n’est pas la norme et le problème de la modernité, que nous tenterons d’aborder à la fin de cette étude, est de nouveau soulevé.

Bref, la place de Gaston-Louis Roux dans l’art contemporain ne peut être déterminée avec exactitude. Elle dépend et varie en fonction du bon vouloir des acteurs du marché de l’art (institution, galerie…). Certains pensent qu’il a une place dans la production artistique du XXème siècle, d’autres, au nom d’un idéal de la modernité qui exclut tout emprunt au passé, nient les qualités plastiques de l’œuvre de Roux.

L’artiste, quant à lui, reconnaît être « parallèle » à une époque et ajoute : « je l’ignore et je ne porte aucun jugement de valeur sur personne dans cette époque. […] ça n’implique pour moi aucun mépris ni aucune réserve, aucune indignation, ni quoi que ce soit : simplement je suis dans mon actions. Comment voulez-vous que je puisse m’intéresser vers toutes les manifestations d’art contemporain ? »


L’association des artistes de la rue de Bourgogne

 

Tout Jacqueline Bonnefous (belle-sœur de Pierre-Georges Bruguière) achète en 1969 un petit appartement, au 43 de la rue de Bourgogne. Elle détourne ce lieu de sa fonction première pour le transformer en une sorte de galerie informelle où les peintres, dont elle est proche, peuvent montrer leur peinture. C’est ainsi qu’avec l’aide de Pierre-Georges Bruguière, son beau-frère, se constitue une association de dix personnes pour subvenir aux frais de cette entreprise permettant aux artistes, une fois par semaine, de se retrouver, de montrer et d’échanger. Le premier mercredi de « la rue de bourgogne » a lieu en octobre 1970. Un petit nombre de sculptures est éparpillé sur les meubles de l’appartement et les tableaux sont accrochés aux murs de façon quasi-décorative . Les peintres présents sont Otto Schauer, Jean Hélion, Gaston-Louis Roux, Charles E. Marks ainsi que le sculpteur William Chattaway. A ce petit nombre viennent s’adjoindre Jean-Claude Rhul et Michel Robin, suivis de Marie-Hélène Castier. Dans un cadre convivial, les artistes amènent amis et amateurs qui, tout en discutant, un verre à la main, peuvent discrètement consulter une liste, sur laquelle est mentionner le titre des œuvres, leurs auteurs, leurs dimensions, et réserver un tableau ou une sculpture. Le bouche-à-oreille fonctionne si bien que des collections se forment et des nouveaux amateurs d’art affluent dans le petit appartement. Devant un tel succès, l’association décide, sur l’invitation du couple d’Hombres, d’exposer une centaine de tableaux à la Maison de la Culture de Clermont-Ferrand. Cette exposition, en 1977, marque le début d’une longue série d’événements qui sont organisés en France comme à l’étranger.

Gaston-Louis Roux adhère parmi les premiers à cette aventure. Il connaissait Pierre-Georges Bruguière depuis quelques années déjà et est enthousiasmé par le projet : les expositions lui permettent de montrer sa production et il peut échanger avec des artistes qui, comme lui, ont choisi la figuration. En effet, l’association de la rue de Bourgogne a pour particularité de regrouper des artistes de formation et d’âge divers, puisque quarante ans séparent Jean Hélion ou Gaston-Louis Roux des plus jeunes, dont le point commun est le refus de la soumission à l’abstraction et l’attrait pour le goût du travail d’après nature. Au sein de l’association réside un personnage qui eut une influence considérable sur la reconnaissance du travail d’après nature : Pierre-Georges Bruguière. Ce dernier, arrivé à Paris au début des années trente, grand amateur d’art, se tourne d’emblée vers les œuvres de Hans Arp, Juan Gris, Fernand Léger, Max Ernst, Vassili Kandinsky ou encore Piet Mondrian avec lesquels il se lie rapidement d’amitié. Vers 1935, il fait la connaissance par Jean Hélion d’Alberto Giacometti et suit avec intérêt la progression de cet artiste qui a décidé de rompre brutalement avec la mouvance surréaliste pour ne peindre que d’après nature, démarche qui sera suivie par Hélion quelques années plus tard. Au contact de l’un et de l’autre, puis de Gaston-Louis Roux, Pierre-Georges Bruguière fortifie sa conception selon laquelle « l’œuvre d’art doit recomposer et restituer, en parfaite adéquation au monde contemporain, l’unité plastique de l’objet représenté, atteindre cette force spirituelle qui tient de la vue son énergie. ». Il récuse le débat abstraction/figuration et privilégie « la quête dans l’ordre de la nature d’une force universelle qui puisse transcender la représentation. » et rejoint ainsi des poètes, que nous avons déjà eu l’occasion de citer, comme Yves Bonnefoy ou André du Bouchet. Bien qu’il ne soit pas à la tête d’un mouvement ou d’une école, Bruguière se pose comme un noyau autour duquel vont graviter Giacometti, Hélion ou Roux nous l’avons dit, mais aussi Balthus, et qui libérés de leur isolement, vont s’affirmer, soutenus dans leur démarche par les dires et les écrits du critique. Par la suite, les artistes cités précédemment seront imités par une nouvelle génération aux côtés de laquelle le critique sera de nouveau présent.

Pierre-Georges Bruguière eut une importance considérable dans « la carrière figurative » de Gaston-Louis Roux. Si les deux hommes se connaissaient probablement avant 1951, c’est à cette date qu’une réelle amitié naît et se concrétise par des écrits élogieux de la part du critique en faveur de l’artiste.

Il semble que ce soit par intermédiaire de Pierre-Georges Bruguière qu’ Yvonne Zervos visite l’atelier de l’artiste et décide de lui organiser une exposition personnelle, qui nous l’avons vu, lui permit de revenir sur la scène artistique. Par la suite, il rédige un important article intitulé « Gaston-Louis Roux, La vision et l’imagination » paru en 1971 dans la revue Sciences médicales , qui lui permet de mettre en évidence ses théories sur le devenir de l’art contemporain où, selon le critique, une place plus importante devrait être accordée à l’approche de la réalité. Comme l’avait fait Patrick Waldberg dix ans plus tôt, il tente de valoriser la production plastique de l’artiste au moment où ce dernier entre dans l’association. Pour se faire, il commence par établir une biographie de l’artiste où, d’une façon chronologique, il met en évidence les changements stylistiques de l’Œuvre de Roux. La seconde partie est réservée à une réflexion sur les liens entre vision, représentation et imagination au sein d’une peinture figurative qui est souvent taxée d’imitative et dépourvue d’invention. Cet article, d’une dizaine de pages, contient tous les éléments que le critique développera dans les autres essais .

En 1978, il rédige une courte préface pour l’exposition Gaston-Louis Roux à la galerie Henriette Gomès dans laquelle il traite à nouveau des problèmes de la vision et de l’imagination et n’hésite pas à commencer par une citation de Baudelaire , extraite du Salon de 1859 « Monsieur Paul Huet peint des compositions amoureusement poétiques –Oui, l’imagination fait le paysage », qui, selon Pierre-Georges Bruguière, évoque l’esprit de la production artistique de Roux.

Comme je l’ai déjà souligné, l’association des artistes de la rue de Bourgogne sort dès 1977 de l’appartement de Jacqueline Bonnefous, devenu trop exigu, pour gagner la Maison de la Culture de Clermont-Ferrand, avant de louer une salle à la Mairie du IVème arrondissement de Paris, pour une première exposition en 1978 suivie d’une seconde en 1980, dont l’entrée est libre. Le tout-venant, se rendant à la Mairie pour quelques actes administratifs peut ainsi admirer les œuvres des artistes. En 1981, changement de Mairie, l’association s’expose dans le XVème arrondissement avant de décider, en juillet de la même année, lors d’un dernier mercredi de La rue de Bourgogne, de fermer les portes du petit appartement de Jacqueline Bonnefous.

Mais l’aventure n’est pas finie puisqu’au mois de mars 1990, l’association Cimaise, Peinture, Sculpture décide d’exposer les œuvres acquises par un collectionneur ancien ami de La rue de Bourgogne.

Le succès fut tel que les institutions s’intéressent, non pas directement à l’association qui n’existe plus, mais aux collections qui se sont constituées au fil du temps par les rencontres entre les artistes de la rue de Bourgogne et les amateurs d’art. De ce fait, les artistes entrent en 1992 au Musée Carnavalet, lors de l’exposition La rue de Bourgogne, Dix peintres, un sculpteur. Nous avons montré l’importance du lieu (qui n’est pas un musée d’art mais un musée consacré à l’Histoire de Paris) et de l’institution qui offre une reconnaissance à la production de ce groupe d’artistes figuratifs. Une vingtaine d’œuvres de Gaston-Louis Roux (huiles sur toile et dessins aquarellés ou non) réalisées entre 1928 et 1978 , dont une large part est figurative, sont présentées au public.

Par la suite de nouvelles expositions consacrées aux artistes de la rue de Bourgogne sont organisées en France et en Europe. La dernière, à l’initiative de la galerie du Griffon, eut lieu à Paris en novembre 2003 .

Parallèlement à cette série d’expositions collectives, l’association permet à Gaston-Louis Roux d’être exposé individuellement : en 1983, l’association des amis de la rue de Bourgogne présente «Gaston-Louis Roux, quarante peinture de 1921 à nos jours ». Trois ans plus tard, une autre association, Cimaise, peinture, sculpture, proche de l’association des amis de la rue de Bourgogne, organise une nouvelle exposition des peintures de Gaston-Louis Roux, dans la Maison des Jeunes et de la Culture du XIVème arrondissement de Paris, dont l’inauguration sera réalisée par des personnalités locales .

Ces différentes expositions permettent à Gaston-Louis Roux de toucher un public différent de celui des galeries dans lesquelles sa production était auparavant montrée et son œuvre figurative, enfin reconnue, fait son entrée dans des collections privées. Il va de soi que les amateurs d’art qui achètent les œuvres de la période dite « moderne » de Roux ne sont pas les mêmes que ceux qui font entrer sa production figurative dans leur collection. Les expositions organisées par l’association de la rue de Bourgogne, même si l’intitulé de l’exposition de 1983, par exemple, se veut représentatif de l’ensemble de la production de Roux, dévoilent seulement une dizaine d’œuvres antérieures à 1950 sur quarante-cinq présentées. Un parti pris s’affiche clairement.

Par la suite, nous constaterons que les différentes expositions importantes, organisées par certaines galeries, conservent cette partition entre période dite moderne et période figurative, choisissant le plus souvent de ne représenter que la production artistique antérieure à 1950 (sauf dans le cas des expositions sur La rue de Bourgogne). Cependant, il faut mentionner le parti pris différent du Musée de Provins, ville natale de l’artiste, dont la conservatrice, Mme Annick Michelet, réalise, en 1996 une exposition rétrospective de Gaston-Louis Roux, où sont représentées à part égale les œuvres de jeunesse et de maturité de l’artiste.

(source : « Gaston-Louis Roux, de Marie Perrier, Université Michel de Montaigne, Bordeaux III- Année 2003/2004 - Maîtrise d’Histoire de l’Art Contemporain - Sous la direction de M. Dominique Jarrassé »)